Films sortis en 2025
Watch in progress
Nous sommes loin de pouvoir tout voir, et pas près d’avoir tout vu, mais voilà les films de 2025 visionnés par notre équipe sur les écrans de cinéma (et parfois de télévision) et que nous avons envie de partager avec vous, ou pas.
FILMS SORTIS EN JUIN 2025
Indomptables
Quelle motivation peut pousser certains humoristes à succès à changer de registre? Un refus d’être catalogué? Une envie de montrer d’autres facettes de leur personnalité? Avant lui, d’autres acteurs et/ou réalisateurs comme Coluche, Takeshi Kitano ou Jordan Peele ont prouvé leur capacité à passer du drôle au sérieux avec conviction. Thomas Ngijol, avec Indomptables, livre un polar inattendu pour lequel il cumule les casquettes de scénariste, réalisateur et acteur de premier plan. Film très personnel donc, il y incarne le commissaire Billong, représentant de l’autorité au sein de la police locale à Yaoundé. Flic intègre, ses méthodes musclées ne sont pas appréciées de tout le monde mais elles ont pu faire leurs preuves. Son boulot a tendance à prendre le dessus sur sa famille qui le voit passer comme un courant d’air chaud. Dans la rue comme chez lui, il peine à parvenir à l’ordre qu’il souhaiterait, ne jurant que par des principes parfois archaïques, coupant souvent court à tout dialogue en imposant son côté autoritaire contestable. L’enquête du meurtre d’un officier de police va conduire cet homme têtu et bourré de principes à reconsidérer quelques aspects de sa personnalité. A la manière de Bong Joon-ho, Ngijol prend le temps de raconter son histoire policière tout en dressant le portrait d’une société aux inégalités flagrantes, montrant la débrouille, les rapports humains et la cellule familiale comme autant de composants essentiels de la narration. Le tout filmé à vive allure, dans un stress palpable, Ngijol parvient à une authenticité convaincante. Il nous offre au passage un dépaysement total, une plongée dans le Cameroun contemporain, bien loin de ses comédies potaches qui cumulaient parfois des clichés maladroits. Film sorti le 11 juin 2025
Cloud
Deuxième film de Kyoshi Kurosawa à sortir cette année sur les trois qu’il a tournés en 2024, Cloud confirme à quel point le réalisateur poursuit son idée du cinéma comme une expérimentation. Cloud ne déroge pas à la règle, mêlant les genres et jouant avec nos sens, pour devenir lui aussi atypique. Ryôsuke, jeune homme discret, cumule un travail alimentaire avec celui de revendeur d’objets sur Internet. Employé modèle, il refuse une promotion et quitte même son entreprise pour se consacrer pleinement à son activité d’indépendant. Avec son amie, ils partent de Tokyo pour la province et gagner en confort, mais peut-être aussi pour fuir quelque chose. Rapidement, ils vont constater que leur présence dans ce nouveau lieu n’est pas très appréciée. Des actes malveillants vont survenir, montant crescendo vers une violence de plus en plus folle. Si le personnage, truand peu scrupuleux dans ses pratiques ou sur la qualité de sa marchandise, est peu défendable, le destin qui l’attend est terriblement sombre. Rattrapé par ses méfaits virtuels sous le pseudonyme de Ratel (une sorte de mammifère féroce), il va devoir faire face aux victimes de son escroquerie dans un affrontement bien réel. Occasion pour Kurosawa de s’adonner à une longue séquence d’action, bien entendu loin des standards connus, ces tueurs en herbe s’improvisant tous pour l’occasion. Prédateur caché derrière son écran et son alter ego, Ryôsuke devient soudaine une proie facile dans cette nature qui l’entoure. Ses agresseurs ne sont ni plus ni moins qu’une meute de charognards, jalousant son succès autant que son amoralité. Moins hermétique et nuancé que Chimé, Cloud nous emmène vers des cieux à la fois inquiétants et lumineux, dans lesquels Kurosawa semble prendre un malin plaisir à jouer avec sa palette d’émotions, nous en offrant toujours de nouvelles. Film sorti le 4 juin 2025
FILMS SORTIS EN MAI 2025
Else
Décidément, le body horror, sous des formes très diverses, devient attractif et même convaincant dans le paysage français. Après Grave, Titane ou The Substance, force est de constater qu’Else suscitait une certaine curiosité via sa bande-annonce intrigante. A la croisée de Tetsuo et Le Règne animal, ce premier film de Thibaut Emin trouve une place légitime dans ce genre avec son histoire de soudaine fusion entre l’humain et la matière. Que celle-ci soit végétale, organique, minérale ou industrielle, un phénomène incompréhensible voit des gens absorbés par leur environnement direct. Par le sol, les murs ou par un objet, la transformation s’effectue en plusieurs phases. Cass et Aux, qui viennent à peine de se rencontrer, sont contraints de rester confinés dans l’appartement de ce dernier. Ces caractères plutôt opposés, loin de vivre un amour fusionnel, vont apprendre à se connaître dans cet espace clos et partager au fil des jours de beaux moments de complicité. Rapidement privés d’électricité et de contact avec l’extérieur, ils communiquent avec leurs voisins via le conduit des ordures. Else, sans être un grand film, est une réussite. Son propos tient la route de bout en bout, enrichi par plusieurs sous-textes et une part de surréalisme qui laissent la part belle à l’interprétation de chacun. Si Else souffre un peu malgré tout du syndrome post-covid (l’idée a dû germer pendant les longues semaines d’enfermement), il n’en reste pas moins un ambitieux objet de cinéma hybride, savant mélange d’effets spéciaux pratiques et numériques desquels émane une poésie certaine, toujours au service d’une histoire avant tout humaine. Film sorti le 28 mai 2025
Chime
Fort d’une filmographie prolifique, Kiyoshi Kurosawa a pourtant connu des débuts difficiles. Suite à des échecs commerciaux, il devient à 30 ans professeur à l’université et tourne des téléfilms et des direct to video jusqu’à la fin des années 1990. 1997 annonce un changement avec Cure, qui lui apporte enfin la consécration et lui confère une réputation dans le milieu du cinéma. Suivront Charisma et Kaïro, des œuvres qui définissent son style fantastique particulier, mélange de précision, de froideur et d’humanité. A près de 70 ans, il revient en 2025 avec pas moins de trois films qui se succèdent à quelques semaines d’intervalles. Chime est le premier de la série. 45 minutes, pas plus, suffisent à trouver là un film d’une maîtrise exemplaire. A la fois hermétique et sensationnaliste, Kurosawa jongle avec l’abstraction et les non-dits, le bizarre et la normalité. Professeur de cuisine, Takuji Matsuoka ne semble pas perturbé par les comportements curieux d’un de ses élèves. Passionné par l’enseignement, il souhaiterait tout de même retrouver un poste de chef dans un restaurant. Kurosawa, avec ses ingrédients bien à lui, va dresser le portrait d’un homme complexe, mélange de frustration et d’apparence, à travers une succession de scènes toutes marquantes à divers degrés. Un assemblage pas toujours facile à discerner. Des instants suspendus entre deux époques, entre deux réalités ? Chime, qui signifie carillon en anglais, nous offre cette sensation furtive, à peine perceptible, nous laissant libres de l’interpréter ou non, de la comprendre ou pas. Film sorti le 28 mai 2025
Mission impossible, The Final Reckoning
Deux ans après Mission Impossible, Dead Reckoning, cette suite directe des aventures d’Ethan Hunt et sa team nous emporte pour près de trois heures de courses effrénées. Le sexagénaire Tom Cruise semble infatigable pour empêcher une IA diabolique de pousser l’ensemble des nations vers une folie destructrice. Se retrouvant, une fois n’est pas coutume, dans des situations réellement impossibles, où même le plus entraîné des êtres humains aurait péri à maintes reprises, l’agent Hunt s’en donne à cœur joie pour nous rappeler que lui seul est capable d’accomplir de tels exploits. The Final Reckoning est un véritable terrain de jeu pour le comédien et son réalisateur Christopher McQuarrie, qui signe là son quatrième M-I. Tom Cruise est effectivement le seul acteur hollywoodien à pouvoir se permettre de telles folies, que ce soit sur terre, sous la mer ou dans les airs. Si on peut ressentir une certaine saturation face au gigantisme des situations, on ne peut s’empêcher d’éprouver un plaisir coupable devant ce spectacle no limit qui offre également une place importante aux personnages secondaires. On pourra lui reprocher une fin qui manque de finesse, par la naïveté du discours et l’apparente prétention de pouvoir changer le cours des choses et d’apporter la paix sur la Terre. Un sous-texte un peu dérangeant, qui insiste encore un peu plus sur le statut de sauveur du Monde du personnage (et de l’acteur), qui va jusqu’à se sacrifier pour mieux ressusciter. En protégeant au péril de sa vie la clé en forme de croix, il permettra à cet objet fortement symbolique de sauver des milliards d’êtres humains. L’identité, américaine et chrétienne (qui a dit scientologue?), triomphera face à l’Entité, l’intelligence artificielle, symbole du mal absolu des temps modernes. Film sorti le 21 mai 2025
Les Maudites
A vingt ans d’intervalle, des jeunes femmes sont agressées par un être invisible, une silhouette masculine qui apparaît pourtant sur un écran lorsqu’elle est filmée par une caméra. Andrea, Marie, Camila,… elles vont toutes être hantées par ce personnage terrifiant. Sous ses airs de film d’horreur venu d’Espagne, Les Maudites exploite le genre pour aborder un thème sociétal bien actuel, la violence envers les femmes. Ni trop explicite, ni trop conceptuelle, l’histoire peine à affirmer un point de vue et laisse un sentiment en demi-teinte. Un réalisme plus cru aurait contribuer à ôter l’aspect artificiel de cette quête pour la vérité. Film sorti le 21 mai 2025
Partir un Jour
Partie un jour de son village natal pour la capitale (et to be free?), Cécile y est devenue une Cheffe renommée. Sur le point d’ouvrir son propre établissement culinaire, elle se résigne à rendre visite à son père, victime d’un infarctus. Tel un saut dans le passé, elle retrouve ses parents et leurs conflits, les cuisines de leur restaurant routier, et ses amis du collège, restés identiques à eux-mêmes, sans avoir jamais bougé de là. Revivant une certaine complicité avec l’un d’entre eux, Raphaël, elle repousse son retour à Paris, se laissant aller à l’improvisation, oubliant quelque temps ses ennuis, loin du stress qui l’y attend. Premier long-métrage d’Amélie Bonnin, Partir un Jour a d’abord pris la forme d’un court métrage de 25 minutes en 2023, avec déjà Juliette Armanet et Bastien Bouillon dans des rôles opposés mais pas si lointains. Si ce premier jet composait déjà avec des ingrédients savoureux (le film musical, les chansons, le retour au pays, les retrouvailles…), la version longue gagne encore en légèreté, en harmonie et en fraîcheur. Plus drôle et réjouissant que bon nombre de comédies, plus touchant et émouvant que ces films calibrés qu’on nous sert habituellement, Partir un Jour, présenté en ouverture du Festival de Cannes, sonne juste sur tous les plans. Son duo d’acteurs irradie l’écran, les seconds rôles (François Rollin et Dominique Blanc en tête) nous offrent une partition vibrante d’émotions. Les figurants eux-mêmes semblent emportés dans cette compilation de chansons dites populaires souvent de manière hautaine. Portées par d’autres voix, elles prennent une autre forme et même une force, grâce à des interprètes qui s’amusent plus qu’ils ne jouent, autant généreux avec le sucre et le sel dans de nombreux moments de rires et de larmes. Film sorti le 14 mai 2025
FILMS SORTIS EN AVRIL 2025
Tu ne mentiras point
Situé dans l’Irlande de 1985, Tu ne mentiras point fait particulièrement écho à une actualité récente dénonçant des abus d’autorité sur des résidents de sanctuaires d’inspiration ou sous pavillon chrétiens (Emmaüs, Bétharram). Son titre français, sous ses airs de commandement, reflète peu le titre original Small Things Like These, plus subtil et plus délicat, à l’instar de son sujet. Vendeur de charbon, Bill Furlong, en livrant le couvent de la ville, assiste un jour à l’admission violente d’une jeune femme dans les lieux, amenée là de force par sa mère. Choqué, il en repart et ne trouvera pas le courage d’en parler à sa femme. Un second épisode inquiétant va le confronter aux sœurs et à leurs pratiques, vraisemblablement connues de la population locale mais gardées sous silence, par crainte ou par excès de confiance envers ces représentantes de Dieu. Son propos, tristement universel, permet de transposer cette histoire à de nombreuses autres, peu importe nos croyances, notre nationalité ou notre expérience. Baignant dans une austérité laissant peu de place à des moments de joie, même pendant la période de Noël, le film appuie un peu trop son propos, appesanti par la mise en scène et le jeu des comédiens tout en gravité. Un peu de contraste aurait été bienvenu pour nuancer le propos et dénoncer ces actes terribles, évoqués en surface, n’apportant qu’un rappel de faits d’une époque pas si lointaine. Le film a le mérite de nous rappeler que l’histoire se répète inlassablement, alimentée par l’hypocrisie et les faux-semblants. Même si les langues se délient sur “ce genre de petites choses”, c’est souvent bien des années plus tard, et c’est souvent trop tard. Film sorti le 30 avril 2025
Sinners
Le réalisateur de Creed, Ryan Coogler, retrouve son acteur pour un second round, cette fois pour un film qui mélange les genres avec une volonté évidente de générosité. Deux Michael B. Jordan pour le prix d’un, dans le rôle de jumeaux revenus riches de Chicago avec l’intention de créer dans la ville de leur enfance un établissement où la musique blues sera à l’honneur et où l’alcool coulera à flot. Sinners coche les cases du film musical, d’action, de la romance, et aussi du fantastique voire de l’horreur, tout ça sur fond de racisme encore bien ancré, l’ombre du KKK planant encore sur ces terres de coton. L’introduction nous apprend que depuis longtemps, les peuples jouant une musique authentique et profonde risquent d’invoquer des démons ou même le diable en personne. Dans le Mississippi des années 1930, le blues incarne bien cette musique émanant du cœur et des tripes. Leur cousin Sammie Moore (Miles Caton), fils de pasteur, sera leur atout pour l’inauguration de ce lieu qu’ils espèrent prospère. Bien entendu, le mal va être de la partie, et comme nous l’annonçait la toute première scène, la nuit sera sanglante. Ryan Coogler nous livre son Une Nuit en enfer, mais à trop vouloir en raconter, il rallonge son film d’intrigues et de sous intrigues parfois inutiles, et donne l’impression de ne pas parvenir à clore son film, même après le lever du soleil. La générosité se transforme là en un réel défaut. Une histoire plus simple autour de la musique, mettant plus en valeur Miles Caton (dont c’est le premier film), aurait procuré une authenticité et un réel plaisir à nos sens. Les scènes de ce prodige du chant et de la guitare sont bien plus mémorables que celles des deux jumeaux réunies. Il est peu probable que son ascension s’arrête ici. Film sorti le 16 avril 2025
The Grill
Cette journée pas comme les autres dans les cuisines d’un restaurant new-yorkais a tout pour plaire. L’ambiance survoltée, boostée par une mise en scène nerveuse à souhait. Le travail de photo en noir et blanc impressionnant sublime chaque plan sans ôter l’intention réaliste du réalisateur mexicain Alonso Ruizpalacios. The Grill fait penser à la série The Bear, avec ces histoires entremêlées qui abordent autant les aspects financiers, logistiques, sociaux et sentimentaux de ce microcosme aux personnages hauts en couleurs (ou plutôt en nuances de gris). Lorsque le comptable annonce au directeur qu’il manque 800 dollars dans la caisse de la veille, ce dernier va partir en quête du coupable et rapidement soupçonner Pedro, un cuisinier certes doué mais aussi tête brûlée. Amoureux de Julia, ce dernier va tenter de la dissuader d’avorter. Etonnamment, si le film a été boudé par la critique, il parvient pourtant à questionner notre propre vision des choses tout au long de cette enquête en huis clos, reflet à petite échelle de notre vaste monde. Jugements hâtifs, délit de sale gueule, comportements douteux, mensonges… tout est prétexte à faire bouillir et imploser ce melting-pot sous haute pression. On devine que tout cela va mal finir, mais quelques instants de poésie nous invitent à croire en un avenir lumineux venu d’ailleurs. Il n’est pas interdit de rêver, heureusement! Film sorti le 2 avril 2025
FILMS SORTIS EN MARS 2025
Aimer perdre
Quand on aime jouer, on aime souvent gagner. Petit pari où l’on joue un billet, jeu à gratter, partie de cartes ou juste pour le fun… tout se prête à jouer. En revanche, certaines personnes s’obstinent à perdre. Armande Pigeon est de celles-là. Sans emploi, endettée auprès de tout son entourage, elle squatte sans garantie de payer le loyer chez une petite vieille, et ne trouve rien de mieux à faire que de jouer et de perdre ses chaussures. Loser professionnelle, on aurait presqu’envie de la plaindre, mais elle n’est en plus pas très sympa, ni fiable, ni serviable. Un soir pourtant, la chance lui sourit. Elle se retrouve autour d’une table à jouer aux cartes, en compagnie d’un jeune homme avec lequel tout lui réussit. Serait-ce enfin son heure, celle où l’amour et l’argent lui tombent dans les bras? Saura-t-elle saisir cette veine? Rien n’est moins sûr, car la nuit est loin d’être finie. Passage au casino, rencontres improbables, son destin est entre ses mains et peut se jouer à pile ou face… Aimer perdre est un petit OVNI franco-belge, un film à la laideur sublime, un bordel organisé où les personnages n’ont rien d’héroïque, leurs actions moins encore. Mais dans ce Bruxelles chaotique, où l’on croise Melvil Poupaud ou Catherine Ringer, on finit par s’attacher à tous ces ringards qui cherchent tous la même chose : trouver l’amour, être heureux, quitte à tout perdre pour l’obtenir… Film sorti le 26 mars 2025
Tardes de Soledad
Albert Serra, après Pacifiction, film au magnétisme imparable, livre une nouvelle proposition à la fois attirante et repoussante. Délaissant la fiction, le réalisateur espagnol choisit pour la première fois la forme du documentaire pour Tardes de Soledad, au sujet brûlant par excellence, celui de la corrida. Il y insuffle une forme de mise en scène assez inattendue, à travers des cadrages en plans très serrés, au plus près des corps qui se meuvent dans des combats de danse et de mort. Serra élude le côté spectacle populaire, avec public et folklore, pour se focaliser sur l’essence même de la corrida : le corps à corps entre l’homme et l’animal. Ignorant les règles de ce jeu sanglant, ce dernier a bien sûr un désavantage de taille. Dans l’arène ou dans la voiture, le jeune toréro est entouré de ses acolytes, qui le vénèrent comme un demi-dieu. A aucun moment, Serra ne cautionne ou ne dénonce quoi que ce soit. Les images impressionnent, ne masquant ni la cruauté ni la vulgarité de cet univers masculin. Le spectateur est plongé au cœur de l’arène, d’abord écœuré, puis peu à peu happé par ces face à face hypnotisants, captivé par le jeune Andrés Roca Rey, star de la discipline. On se surprend même à s’inquiéter pour lui lorsque la bête le piétine ou l’encorne, cherchant à comprendre cette attraction pour le sang et la mort qui le pousse à continuer inlassablement ces rituels répétitifs. Le choix du documentaire et de ce personnage existant permet de nous accrocher au réel bien plus que la fiction. C’est la question même de la violence qui jaillit de ces images crues et nous accule dans notre siège. On en sort avec le sentiment de comprendre un peu mieux pourquoi la corrida fascine tant. Mais ces après-midis de solitude (si l’on traduit le titre) montrent aussi la vanité de l’Homme, égocentré dans ce monde auquel il souhaite imposer sa domination. Film sorti le 26 mars 2025
Lumière, l’aventure continue
Thierry Frémaux, grand cinéphile devant l’Eternel, à la tête de la sélection du Festival de Cannes depuis 2004, est aussi lié à Institut Lumière depuis sa création en 1982. D’abord bénévole, il sera nommé directeur artistique en 1997 aux côtés du président Bertrand Tavernier. En 2017, il livre un premier documentaire nommé Lumière, l’aventure commence, déjà riche de nombreux films des frères Auguste et Louis. Lumière, l’aventure continue, prolonge l’expérience, et surtout le plaisir et la magie. Le cinéma avant le cinéma, le langage naissant et déjà pertinent d’un art qui deviendra majeur. Ces 120 films courts sont déjà plans séquences, travellings, documentaires, gags, poésie, drame… Certains possèdent même deux voire trois versions (La sortie d’Usine par exemple), comme des suites ou remakes avant l’heure. Ingénieurs de formation, leur nom les prédestine à imprimer la lumière sur pellicule 35 mm. C’est le monde qu’il vont apporter sur grand écran, le petit et le vaste, faisant voyager, rire, pleurer les spectateurs à partir de 1895. Véritables trésors, ces films superbement restaurés méritent qu’on ne les oublie pas, et qu’on se souvienne, 130 ans plus tard, que le cinéma reste une des plus belles aventures. Film sorti le 19 mars 2025
Black Dog
Après un séjour en prison, Lang, jeune homme mutique, revient à Chixia, sa ville natale, près du désert de Gobi. En cette année 2008, les JO d’été de Pékin sont très attendus et certaines régions voient leurs habitants partir pour la ville. Il est engagé par la patrouille locale afin de capturer les nombreux chiens errants, dont certains sont soupçonnés de porter le virus de la rage. Un chien noir fait particulièrement l’objet d’un avis de recherche. Mais Lang va se lier d’amitié avec ce lévrier, solitaire comme lui. Personnage singulier, Lang ne prononce que très rarement quelques mots, plongé dans un silence face à ses semblables, que l’on peut interpréter comme de la honte ou des regrets. Que ce soit avec son père mourant, sa famille absente ou ses voisins, la communication est compliquée. Avec son nouvel ami à quatre pattes, nul besoin d’user de la parole pour se faire comprendre ou donner l’illusion d’exister. Si on n’en apprendra que peu sur lui, on le découvrira passionné de mécanique, et de musique, de The Wall de Pink Floyd particulièrement. Murée dans son silence, cette âme parmi les siens et ces paysages désertiques presque lunaires, va devoir trouver une issue à l’avenir sombre qui lui est promis. Si Black Dog nous offre un dépaysement assuré, géographique comme temporel, il semble, à l’image de Lang, se perdre en route, ne sachant où aller, quitte à tourner en rond, avant de décider vraiment de la voie à suivre. Cet excès de longueur diminue l’impact de cette œuvre à la photographie superbe mais n’entache en rien le plaisir que l’on éprouve à suivre cette aventure à la fois sociale, humaine et animale. Film sorti le 5 mars 2025
Mickey 17
Bong Joon Ho, depuis son coup de maître Parasite, auréolé d’une Palme d’Or et de l’Oscar du meilleur film, s’était montré plutôt discret. Travaillant en réalité sur plusieurs scénarios en parallèle, il nous livre cette année Mickey 17, adaptation d’un roman récent (Mickey7 d’Edward Ashton). Ce film de science-fiction à la fois sérieux, caustique et humaniste, se situe quelque part entre Starship Troopers et Avatar. Il emprunte un peu de satire et d’outrance au film de Verhoeven, et comme la saga de Cameron, aborde le thème de la colonisation d’une planète lointaine et de son peuple autochtone par la force. Dans un esprit résolument BD assumé, Mickey 17 séduit par son histoire de personnage condamné à exécuter des tâches dangereuses pour le bien de l’humanité, (dé)voué à mourir et à être réimprimé à l’infini. Si le film n’atteint pas la virtuosité de son précédent long-métrage, il fourmille d’idées et de scènes marquantes, n’oubliant pas l’aspect social, véritable marque de fabrique de sa filmographie. Et même si l’humour prend parfois trop de place, il sert le propos d’un monde devenu fou (à peine plus que le nôtre?). Un monde décidé à traverser l’espace dans un vaisseau dans le but d’en créer un autre, emportant avec lui des centaines d’hommes et de femmes, mais aussi sa folie et sa connerie. Mickey 17 et son double n°18, désignés porte-parole de ce groupe élu pour peupler cette planète moins hostile que ses agresseurs, devront faire face à un despote nombriliste et stupide (un Donald en puissance…) pour éviter une guerre totale. Doublement interprété par Robert Pattinson, celui-ci prouve une fois encore sa capacité à surprendre grâce à son jeu aux multiples facettes. Film sorti le 5 mars 2025
FILMS SORTIS EN FEVRIER 2025
A Real Pain
Les cousins David et Benji ont toujours été complices depuis leur enfance, malgré deux personnalités totalement opposées. A quarante ans passés, chacun a emprunté un chemin différent. David est marié, jeune papa, pas très à l’aise en société, tandis que Benji, très curieux des gens, aime capter l’attention. Peu après la mort de leur grand-mère, ils décident de lui rendre hommage en se rendant dans son pays d’origine, la Pologne. Un voyage vers leur passé, et vers les douleurs d’une époque qui a poussé leur ancêtre à fuir les horreurs nazies. Un circuit touristique organisé en groupe. Durant ces quelques jours, les souvenirs, les non-dits, vont remonter à la surface, et chacun va révéler ses failles et ses regrets. Dans cette histoire où la mélancolie et le malaise sont latents, l’humour grinçant du scénariste-réalisateur Jesse Eisenberg fait mouche, tout comme sa complicité avec Kieran Culkin, permettant à ce road trip de prendre un bon goût de feelgood movie. A Real Pain nous rappelle à quel point le poids de la famille prend souvent plus de place qu’on ne le pense dans le sac à dos… Film sorti le 26 février 2025
Les Damnés
Réalisateur des Damnés, l’Italien Roberto Minervini porte depuis quelques années un regard singulier sur l’Amérique contemporaine et ses multiples visages sous la forme de documentaires (The Other Side, Le Cœur battant), aussi profonds thématiquement qu’élégants d’un point de vue photographique. A la manière de ses œuvres ancrées dans le réel flirtant parfois avec la fiction (un documentaire est aussi scénarisé), cette première incursion dans le récit possède l’authenticité et la force de son genre de prédilection. Les Damnés, incarnés par une patrouille de soldats nordistes durant la Guerre de Sécession, avancent sur un territoire inexploré à l’Ouest des Etats-Unis, loin de la zone de conflit principale. Filmée de manière rapprochée, au gré de leurs activités quotidiennes, de leurs discussions, la dizaine d’hommes nous devient rapidement familière. De ces échanges vont se dégager des questionnements passionnants sur la foi, le sens de leur mission, leur rôle dans cette entreprise qui les dépasse, la vision de leur pays en mutation et les querelles qui opposent ses habitants. La guerre qu’on nous montre n’a rien d’héroïque. Perdus dans des terres immenses et magnifiques, ces soldats arrivés là pour des raisons multiples, par conviction ou par intérêt, ne sont que de simples individus. En faisant le choix de cette guerre lointaine dans l’Histoire, Minervini peut, à travers ses personnages anonymes, hommes de tous âges condamnés, conférer une dimension universelle à son récit. A l’instar de Chloé Zhao (The Rider, Nomadland), il propose avec son recul d’étranger et son approche du réel une richesse de thématiques qui font écho aux fondements de ces Etats-Unis, aujourd’hui plus désunis que jamais. Film sorti le 12 février 2025
The Brutalist
Précédé d’une réputation où les superlatifs pleuvent pour désigner sa grandeur, The Brutalist ne cache pas son ambition. Un film fleuve de 3h30, tourné en vistavision, en deux parties reliées par un entracte. Un retour à un certain cinéma qui aimait impressionner par une mise en scène grandiose et des enjeux multiples, servis par des comédiens habités par leurs rôles. Si les faits relatés sont une page fictive de l’histoire des Etats-Unis, et que ses personnages n’ont pas existé, la période retracée est bien réelle. L’après-guerre, racontée du point de vue de rescapés de l’Holocauste émigrant aux Etats-Unis, permet d’aborder des thématiques lourdes de sens, autant artistiques, humanistes que politiques. László Tóth (Adrien Brody), séparé de sa femme, va commencer une nouvelle vie dans ce pays symbole de liberté, de richesse et de création. Un pays encore en pleine construction, où les ambitieux sont souvent récompensés, et où le mérite a un sens tout particulier. Après un temps d’adaptation loin d’être aisée, l’architecte génial saisit sa chance lorsqu’un mécène fortuné, Harrison Lee Van Buren (Guy Pearce), lui propose d’imaginer son projet de construction d’un centre communautaire sur son domaine. Ces deux personnalités, totalement opposées, vont unir leurs talents respectifs dans cette entreprise titanesque en s’engageant sur plusieurs années dans ce dessein commun aux intentions a priori plutôt philanthropiques. Pour l’un, dopé par sa vision avant-gardiste de l’architecture brutaliste, la création va lui permettre de s’exprimer totalement. Pour l’autre, dénué de qualité artistique mais doté d’un bon portefeuille, c’est une occasion de rappeler quel citoyen exemplaire il est, et de partager avec la communauté ses deniers, sûrement gagnés honorablement. Ce pacte d’associés, démarrant sous les meilleurs auspices, va se transformer en une passionnante et terrifiante aventure humaine, tiraillée entre les égos, les enjeux, le pouvoir et les différences culturelles. En architecte de son film, Brady Corbet (Vox Lux), livre ce monument épique impressionnant, parcourant plusieurs décennies. Une longue période, racontée sur un très long métrage, pour faire ressentir autant que possible au spectateur l’épreuve que le temps peut représenter. Le temps qui s’écoule, pendant des années avant que László retrouve sa femme. Celui qui s’étire, jusqu’à ce que le projet architectural voit le jour. Et enfin, le temps passé, qui reste à jamais gravé en soi. Brady Corbet aura mis près de sept ans pour aboutir à cette œuvre originale écrite avec sa femme Mona Fastvold. Film sorti le 12 février 2025
Maria
Après Bob Dylan en janvier, c’est Maria Callas qui a droit à un biopic sobrement titré Maria. Moins traditionnel dans son traitement, le film se concentre sur les sept derniers jours de la Diva en 1977 à Paris. Si Angelina Jolie n’est pas la première actrice à laquelle on aurait songé pour incarner l’une des plus grandes chanteuses de l’histoire, il faut avouer que sa prestance, sa grâce ainsi que les nuances de son jeu, témoignent d’une implication totale pour le rôle. Même lorsqu’il s’agit de donner l’illusion du chant d’opéra, la comédienne américaine, qui a pris des cours d’interprétation pendant plusieurs mois pour apporter la crédibilité nécessaire à ces scènes, est convaincante. C’était sûrement la plus grande gageure de ce projet. La mise en scène de Pablo Larraín, élégante et raffinée comme souvent, rend hommage à la grandeur de la chanteuse grecque au talent hors-norme. Le parcours du réalisateur chilien ne cesse de surprendre, capable d’alterner des portraits de figures célèbres réalistes (Jackie, Neruda) ou fantaisistes (Le Comte). Maria révèle une Callas dans l’intimité de son appartement, recluse, entourée de son majordome et de sa gouvernante fidèles. Dépossédée de sa voix depuis des années, elle est tiraillée entre les souvenirs d’une époque révolue, gonflés par son imaginaire, et par les médicaments dont elle abuse. L’espoir de retrouver sa voix n’est sûrement qu’une illusion, mais la voir souffrir en tentant de la raviver, nous rappelle la femme qu’elle était, au-delà de la diva. Ces instants ajoutent encore, s’il le fallait, de la tragédie à cette personnalité qui a bâti sa carrière sur ce genre opératique. Maria sonne comme le chant du cygne d’une cantatrice qui aura sacrifié sa voix, privilégiant l’amour en brûlant ses ailes bien trop prématurément. Film sorti le 5 février 2025
La Pampa
Premier long-métrage d’Antoine Chevrollier, réalisateur habitué des séries (Baron Noir, Le Bureau des Légendes), La Pampa possède l’énergie et l’audace qu’on peut attendre de la part d’un auteur passant de la TV au cinéma. Il n’est pas rare de trouver dans une première œuvre une part personnelle dans l’écriture du scénario, par le biais de souvenirs ou de lieux qui apportent une authenticité à toute histoire. Originaire du village où a été tournée La Pampa, Chevrollier nous dévoile une galerie de personnages attachants. Willy et Jojo en tête, adolescents incandescents et inséparables, fous de moto. A l’âge où rien ne compte plus que les amis, l’amour ou les sorties, les parents sont souvent un fardeau lourd à porter. L’avenir qui s’offre à eux n’est pas très reluisant, à moins de réussir son bac pour l’un, ou devenir champion de moto pour l’autre. Et partir d’ici… Dans la lignée de Leurs Enfants après eux, Vingt Dieux ou l’Amour Ouf, La Pampa explore à sa manière la jeunesse en province française, devant faire face à des mentalités, des problèmes de communication et des secrets inavouables. L’aube de l’âge adulte signifie pour les deux complices la fin de l’innocence, la fin des 400 coups et blessures à prendre avant le grand saut vers leur destin. Film sorti le 5 février 2025
FILMS SORTIS EN JANVIER 2025
Un parfait inconnu
Les biopics se suivent et ne ressemblent pas. Parvenir à cerner la particularité d’une personnalité qui a marqué l’art ou l’Histoire, voire les deux, est toujours un exercice délicat. Le jeune Bobby Dylan, alors parfait inconnu en cette année 1961, débarque à New-York et se rend au chevet de Woody Guthrie, une légende mourante de la musique folk. Impressionné par ce nouveau talent, Pete Seeger, alors présent, va l’accompagner pour ses premières apparitions en public. Si on a pu oublier que le succès de Dylan était fulgurant, soutenu par “la reine du folk” Joan Baez, le film permet de nous plonger dans cette époque bénie, où même la musique traditionnelle américaine pouvait se renouveler. Dylan ira jusqu’à la révolutionner, au risque d’être conspué lorsqu’il passera à la guitare électrique en live au Newport Folk Festival en 1965. Un scandale pour les adeptes les plus conservateurs d’un style qui prenait pourtant la poussière. Avec Un Parfait Inconnu, le talentueux et touche-à-tout James Mangold réussit, malgré une mise en scène plutôt sobre, à enrichir son film de thématiques nombreuses : la transmission, la gloire, l’audace, l’amour, la création… Il situe l’artiste parmi d’autres dans ces quelques années fondatrices, et nous rappelle, s’il le fallait, la qualité d’écriture unique du futur Prix Nobel de Littérature. Consultant sur le film, Dylan aurait été séduit par l’interprétation de Timothée Chalamet. Celui-ci impressionne par son implication totale, dans le jeu et dans la voix, et parvient à incarner l’homme plutôt qu’un mythe, à la fois arrogant et conscient de son talent, autant respectueux de ses prédécesseurs que sûr de sa propre route à tracer. Film sorti le 29 janvier 2025
Companion
Si la bande-annonce dévoilait un grand nombre d’informations, elle n’en demeurait pas moins intrigante et suggérait un brin de folie non déplaisant. Companion s’affirme à l’écran comme un film popcorn (salé et sucré) très plaisant à regarder. Démarrant tel un conte de fée du logis dans lequel Josh et Iris ont un véritable coup de foudre, le scénariste et réalisateur annonce rapidement la couleur de son premier film : cette histoire va mal finir. En annonçant la mort potentielle du jeune homme, le film n’en perd pas pour autant son piment. A la fois drôle, violent voire horrifique, Companion se révèle une satire contemporaine suffisamment subtile et maline pour éviter les lourdeurs, et bien interprété par un casting rafraichissant pour se laisser prendre à ce jeu machiavélique. Il se déguste comme un très bon épisode de Black Mirror truffé d’idées en proposant plusieurs couches de vernis à gratter avant d’atteindre un dénouement final bien senti. L’univers du film ouvre clairement la possibilité d’être étendu à d’autres personnages et donc à une ou plusieurs suites. Si ce modèle d’écriture est conservé avec la même férocité, c’est avec plaisir que l’on jettera un oeil sur les nouvelles aventures d’Iris. Film sorti le 29 janvier 2025
Je suis toujours là
Rio de Janeiro, début des années 1970. La famille Paiva mène une existence privilégiée en bordure de mer. Dans leur maison accueillante, ils partagent avec leurs enfants et leurs amis des moments de joie, de jeux, d’échanges autant culturels que politiques. La caméra immortalise ces instants de bonheur communicatif, presque trop beaux pour être vrais, rythmés par la musique du Brésil et d’ailleurs. L’harmonie qui s’en dégage semble inébranlable. En toile de fond, on entend parler d’enlèvements de personnalités politiques, relâchées après quelques jours. L’armée effectue auprès de la population des contrôles d’identité avec une brutalité non dissimulée. Lorsque Rubens, le père de famille, puis sa femme Eunice et une de leur fille sont cherchés à leur domicile pour être interrogés sur de supposés rapports avec des terroristes, leur vie va basculer. Rubens ne reviendra jamais dans sa famille… Walter Salles adapte le livre Ainda estou aqui de Marcelo Paiva, biographie de sa mère devenue avocate et militante. Dans sa jeunesse, le réalisateur a réellement côtoyé la famille Paiva. Il a vécu cette sombre et douloureuse page de son pays, contrôlé par une dictature militaire dont on a peine à se souvenir. Nombreux enlèvements, tortures et assassinats, résultent du pouvoir en place, qui avait toute liberté d’arrêter et de séquestrer qui bon lui semblait. Walter Salles livre Je suis toujours là tel un témoin, captant des instants d’une humanité rare, autant dans l’euphorie que dans la douleur, alternant entre caméra de cinéma et super 8. Une œuvre où l’ensemble des comédiens impriment la pellicule avec une justesse rare, portés par la même volonté de ne jamais oublier. Film sorti le 15 janvier 2025
Babygirl
Comment aborder en 2025 un sujet aussi bancal que la domination masculine d’un jeune stagiaire sur la patronne d’une très grande entreprise. Si le pitch ressemble à un sexy movie des années 1990, de Basic Instinct à Harcèlement, la réalisatrice néerlandaise Halina Reijn aborde le sujet à bras-le-corps sans sourciller et parvient, toujours sur un équilibre instable et douteux, à dévoiler peu à peu ses intentions. A travers des personnages très caricaturaux, le couple idyllique incarné par Nicole Kidman et Antonio Banderas en tête (deux sex-symbols du cinéma), la réalisatrice va s’amuser à faire exploser un à un certains des fondements de la société idéale qu’on nous inculque : réussite, perfection, harmonie familiale. Toutes ces façades vont se montrer extrêmement fragiles lorsque Samuel (Harris Dickinson) s’emploiera à semer le trouble chez Romy, incarnation du rêve américain, reine dans sa tour d’ivoire, incapable de résister au charme pervers du jeune homme. Celui-ci, révélateur d’une hypocrisie généralisée, autant professionnelle que personnelle, va pousser tous ces individus lisses qui l’entourent à exprimer tout haut leurs pensées les plus enfouies, les plus indicibles, et leur permettre enfin d’être honnêtes les uns envers les autres. Tel un réseau social qui délierait toutes les langues, Samuel va briser les questions de hiérarchie sociale, de consentement, de relation et replacer tout ce petit monde au même niveau, celui de l’être humain presque primitif, animal. Babygirl n’est ni masculiniste, ni féministe. Bien au contraire. Film sorti le 15 janvier 2025
Wolf Man
Après Invisible Man, Leigh Whannell s’attaque à la relecture d’une autre célèbre figure de la firme Universal, le loup-garou. L’auteur, avec James Wan, de sagas célèbres comme Saw ou Insidious, a prouvé à maintes reprises ses talents de conteur et sa capacité à s’inscrire dans une horreur moderne. Dans son introduction, nous découvrons le jeune Blake et son père chassant dans une splendide forêt de l’Oregon. Ils sont pris à partie par un animal qu’ils ne feront qu’entrevoir. La légende dit qu’un randonneur aurait attrapé une sorte de virus et hanterait les environs. Bien des années plus tard, Blake est désormais papa d’une adolescente, mais son couple bat de l’aile. A l’annonce du décès de son père, qu’il n’avait pas vu depuis des années, il convainc sa femme d’aller passer tous les trois quelques jours dans sa maison d’enfance. A peine arrivés, une créature les attaque et les prend en chasse. Ils parviennent à se réfugier dans la vieille demeure, mais la nuit allait être longue et intensément dangereuse. Les intentions de Whannell sont plutôt louables. En situant son film dans un contexte familial, les thématiques qui en ressortent sont autant de chemins à emprunter pouvant donner lieu à un développement intéressant de son histoire : la filiation, les violences intra familiales, la nature des individus, l’homme face à l’animal et à la nature, la notion de territoire… Il est regrettable qu’aucune ne soit vraiment exploitée en profondeur. Wolf Man se dévoile de manière trop linéaire, se contentant d’alterner les scènes de terreur et d’émotion sans parvenir à créer une réelle empathie (malheureusement, la jeune actrice qui joue leur fille n’est hélas pas très crédible dans son jeu face à l’intensité de Christopher Abbott, autant à l’aise dans l’animalité que dans la douceur). Il en résulte un spectacle classique honorable, dont le travail d’écriture un poil paresseux, ou trop appuyé par moments, ne permet pas de se singulariser. Film sorti le 15 janvier 2025
Le Dossier Maldoror
Belgique, 1995. Un jeune gendarme cherche à résoudre une enquête de disparition de deux jeunes filles dans son secteur. Guidé par une intuition persistante, il outrepasse certaines règles, dépité par le manque de réactivité de son supérieur et par la rivalité entre polices et gendarmerie, en pleines restructurations alors. Fabrice Du Welz s’attaque à l’affaire Dutroux du point de vue d’un homme obstiné par la justice, seul face à un système étatique corrompu. Il évite d’en faire un thriller et dresse un portrait de son pays en ces années sombres, traumatisé par cette affaire criminelle et déchiré à jamais. La Belgique ressemble par moment à un champ de ruines, paysage industriel en désolation. Mais dans toute cette noirceur, il n’oublie d’y mettre de la lumière, à travers le couple formé par le gendarme (Anthony Bajon) et sa femme (Alba Gaia Bellugi déjà vue dans Inexorable). Leur union si pure, à l’instar du pays dans lequel ils vivent, ne sortira pas indemne de ce voyage au bout de l’enfer. Du Welz livre sans doute son film le plus ambitieux, dans une structure (et une durée) qui rappelle le film de Cimino. Un monde dans lequel un enfant naît, sans le savoir, entouré de monstres en puissance, il est difficile de croire à un avenir meilleur, même lorsque l’amour nous entoure. Le Dossier Maldoror voudrait pouvoir changer l’Histoire, mais la réalité restera toujours plus forte que la fiction. Film sorti le 15 janvier 2025
La Chambre d’à côté
Un nouveau duo de femmes est mis à l’honneur par Almodovar dans ce film tout en délicatesse qu’il a tourné aux Etats-Unis en langue anglaise. Julianne Moore et Tilda Swinton, présentes sur une affiche qui rappelle étrangement celle de Julieta (sorti il y a près de 10 ans), incarnent Ingrid et Martha, deux amies et anciennes collègues journalistes d’un même journal qui s’étaient perdues de vue pour des raisons que l’on connaît tous : le travail et le temps. Le hasard d’une discussion va les réunir à nouveau et malgré la maladie qui menace d’emporter Martha dans les semaines à venir, elles vont toutes deux se retrouver plus que jamais et partager des instants extrêmement forts. Leurs échanges porteront sur la mort bien sûr, sur la maternité, sur les hommes aussi. Ces derniers ne s’en sortent pas glorieux, John Turturro étant un digne représentant du pauvre type contemporain irrécupérable. C’est peut-être un des seuls défauts de La Chambre d’à côté, celui de n’accorder que peu de relief aux hommes, écrasés par des personnages féminins bien trop complexes pour qu’ils puissent exister à leurs côtés. Mais c’est un parti pris légitime, dans lequel Almodovar conforte un peu plus son attrait pour les rôles de femmes, de mères, de filles, tellement plus intéressantes à écrire ou à filmer. Film sorti le 8 janvier 2025