Texte : Alexandre Metzger - 4 octobre 2020

Retour vers le futur I

En 1985, comment un film qui fleure bon la nostalgie des années 50, du rock’n roll à papa, aux airs de Happy Days et avec un thème éculé comme le voyage dans le temps a-t-il pu donner envie à des gamins de se déplacer au cinéma et devenir ainsi le plus gros succès de cette année-là ? Un producteur qu’on ne présente plus, un réalisateur tout juste auréolé d’un premier succès (A la poursuite du diamant vert), un titre qui claque, un scénario réglé comme une horloge, un héros méga cool, des idées et des clins d’œil à la pelle… Retour vers le futur est juste une combinaison magique à l’américaine comme on n’en voit pas si fréquemment et qui devient instantanément un classique transgénérationnel.

Steven Spielberg présente…

Dans les années 80, que l’on soit cinéphile ou non, s’il est un nom de réalisateur que tout le monde connaît, c’est bien celui de Spielberg. Hitchcock aussi bien sûr, dont les films passent régulièrement à la télévision. Mais Les Dents de la mer, Duel, Rencontre du 3e type, E.T., Indiana Jones… ont depuis quelques années marqué au fer rouge l’inconscient collectif. Parents et enfants font confiance à cette signature synonyme d’aventures, de frissons et de dépaysements garantis. Son nom, en tant que producteur, surplombe l’affiche réalisée par Drew Struzan (artiste que le wonder boy affectionne particulièrement et qui s’est illustré également chez Lucas ou Carpenter) dont la fulgurance visuelle opère immédiatement : un personnage en train de contempler sa montre avec angoisse, un véhicule à peine esquissé traversé par des flammes rectilignes sur une route éclairée par d’étranges lumières. Et un titre énigmatique écrit dans une typographie dynamique en lettres capitales : Retour vers le futur. Un titre qui sous une simplicité apparente s’avère assez complexe et terriblement ingénieux !

Voyage dans le temps

Car en réalité, c’est du passé qu’il va être essentiellement question dans ce film de science-fiction qui promet pourtant le futur. Un passé lointain, depuis longtemps remplacé par la modernité des années 80 où les enfants n’ont rien de commun avec leurs parents, tant du point de vue vestimentaire, culturel ou langagier. Marty, fils de George et Lorraine McFly, est un lycéen assez typique, souvent en retard, plutôt flemmard, qui rêve de réussir dans la musique grâce à sa guitare mais n’est pas très sûr de lui. Marty pratique le skateboard, s’habille cool, jeans de rigueur, Nike aux pieds, montre à quartz au poignet, sort avec une copine hyper canon et écoute Huey Lewis and the News sur son walkman. Le modèle de coolitude absolue pour tout adolescent. Tout l’inverse de son père et de sa mère qui, à près de 50 ans, forment un couple en piteux état, dont la passion amoureuse semble bien lointaine, ou pire encore, n’avoir jamais existé. Le destin va lui donner l’occasion de les rencontrer 30 ans plus tôt…

Une machine folle

Il se trouve que Marty est ami avec le Doc Emmett Brown, un savant fou dans toute sa splendeur, inventeur de mille et une machines et obsédé par le temps. Des centaines d’horloges occupent son laboratoire. Et lorsqu’il donne rendez-vous à Marty un soir sur le parking du supermarché « Twin Pines Mall » pour lui annoncer une nouvelle incroyable, c’est pour lui présenter une machine à voyager dans le temps. En réalité, une voiture, la DeLorean customisée qui, propulsée grâce au plutonium pour obtenir une puissance de 1,21 Gigawatt, se déplace à la date de son choix lorsqu’elle atteint 140 km/h. Une machine si aboutie visuellement que son fonctionnement ne fait aucun doute, immédiatement culte et qui traumatisera plus d’un fan. La transformation de la voiture en machine temporelle est signée Michael Scheffe, qui avait déjà œuvré sur Kitt, le bolide du héros Michael Knight dans K2000. Le Doc s’étant procuré le combustible nucléaire de manière peu catholique, il se retrouve rattrapé par ses propriétaires lybiens qui l’assassinent de sang froid ! Marty a juste le temps d’embarquer dans le véhicule et d’être transporté… le 5 novembre 1955.

Rock around the Clock

Les années 50, qui correspondent en réalité à la période d’enfance de gens comme Spielberg et Zemeckis, sont un âge où tous les codes du quotidien sont différents. Bienvenue dans un temps où le rock n’roll est dans sa prime jeunesse, les voitures déploient de belles formes tout en rondeur, la science-fiction, l’espace et les martiens passionnent les jeunes et moins jeunes, la télévision investit les foyers les plus fortunés, l’horloge de Hill Valley n’a pas encore été détruite par la foudre, Ronald Reagan est un acteur qui partage l’affiche avec Barbara Stanwyck… La préhistoire diraient certains ! Marty, qui n’est pas sûr de comprendre ce qui lui arrive, entreprend de contacter son ami Doc. Dans le restaurant où il parvient à trouver son adresse dans l’annuaire, il tombe d’abord nez à nez avec son père, un jeune homme peu sûr de lui qui se fait emmerder par Biff Tannen et sa bande. Et ce qui ne devait pas arriver finit par arriver : il va chambouler certains des évènements fondateurs de sa propre existence en devenir, à commencer par la rencontre de ses parents !

A la recherche du temps perdu

En voulant sauver le jeune George McFly d’un accident, Marty remplace ce dernier dans LE moment qui permit sa rencontre avec Lorraine (même si ce moment est plutôt pathétique). Une situation œdipienne s’instaure alors car sa future mère tombe littéralement sous le charme de son… futur fils, provoquant ainsi des rencontres très gênantes pour notre héros, mais vraiment irrésistibles en terme de comédie. L’effet boule de neige de ces bouleversements va créer un paradoxe temporel tel qu’il semble même être plus complexe de trouver une solution pour réunir ses parents que de retourner dans le futur ! Pour Marty, qui se réveille un instant en pensant n’avoir rêvé que tout cela, c’est un véritable cauchemar qui se présente : il semble bel et bien bloqué en 1955.

L’art du détail

C’est le début d’une série d’idées comiques et dramatiques qui rythment le film de manière savoureuse. Faire le lien entre le futur de 1985 et le présent de 1955 devient un jeu fabuleux pour les spectateurs au fil des scènes, dont seuls les plus malins sauront repérer des détails quasi invisibles à la première projection (les films programmés au cinéma local, le futur maire, le nom du supermarché,…). Les autres sauront se faire plaisir plus tard grâce à des allers-retours sur la sacro-sainte VHS. Les allusions à ce qui n’existe pas encore (à la fois dans la ville en pleine construction et dans l’Histoire en devenir) font appel à l’attention et à la connaissance de chacun. Parents et enfants y trouvent leur lot de références culturelles et une compréhension à des degrés divers, c’est bien là tout le charme des grandes comédies familiales.

Question de timing

Les retrouvailles avec le Doc de 1955 remettent le film sur les rails de la science-fiction. Sa connaissance scientifique de l’époque est quelque peu limitée sur le voyage dans le temps, mais les informations que lui apporte Marty dans un appareil « miniature » révolutionnaire, en l’occurrence un camescope, et la connaissance de certains moments-clés de l’histoire de la ville, permettent d’envisager sereinement un retour vers le futur une semaine plus tard. La solution technique étant toute trouvée, le problème de taille à résoudre est de provoquer la rencontre de Lorraine avec George ! Un défi loin d’être aisé à relever car chaque minute compte désormais avant l’échéance annoncée. Surtout que la moindre action peut créer un effet papillon qui rend la difficulté encore plus insurmontable.

Changer le cours du temps

L’occasion offerte à Marty de découvrir ses parents au même âge que lui est un moment que bon nombre d’entre nous seraient curieux de vivre. Découvrir que sa mère a été une belle jeune fille moderne en son temps, loin d’être farouche, quelle aubaine ! Imaginer son père avant qu’il ne soit père. L’imaginer lycéen avec des passions, des rêves, des flirts… Sauf que Marty se confronte à un jeune George tellement peu sûr de lui que son propre avenir devient très incertain et qu’il va falloir redoubler d’efforts pour parvenir à corriger les erreurs commises. A l’aide de divers coups de main, de coups de poing, du hasard, de l’improvisation, Marty va devoir forcer son père à se diriger vers leur destin commun et au passage « légèrement » le transformer. Zemeckis prend le temps de jouer avec les situations et les références pour instaurer un suspense et s’amuser autant qu’il nous amuse, jusqu’à l’heureux retour du jeune homme vers le présent de 1985.

Alchimie

Mené tambour battant par la musique d’Alan Silvestri devenue aussi emblématique que celles de John Williams (Star Wars, Indiana Jones…) et par les tubes de Huey Lewis, Retour vers le Futur carbure encore et toujours avec la même énergie. Les effets spéciaux classiques, pour la plupart mécaniques ou électriques, résistent bien aux outrages du temps. Ils servent impeccablement l’intrigue plutôt que de jouer la carte de la révolution technologique et aident encore un peu plus le film à atteindre l’osmose parfaite.
Zemeckis inscrit définitivement son nom dans l’histoire de l’entertainment en signant le plus gros carton de 1985 et deviendra coutumier des succès pour de nombreuses années à venir. Michael J. Fox et Christopher Lloyd, en totale osmose,s’imposent comme l’un des plus beaux duos d’acteurs des années 80 et lorsque la fin du film qui voit nos héros repartir cette fois vers… le futur, une suite s’impose forcément ! Sauf qu’au moment où le générique de fin entame son défilé de noms en lettres blanches sur fond noir, nulle suite n’a encore été envisagée pour cette histoire qui devait en rester là ! L’avenir nous prouvera le contraire, et ce n’est pas seulement une mais deux suites, filmées simultanément qui envahiront les écrans quatre années plus tard, pour le plus grand bonheur des fans. Mais ça c’est une autre histoire… To be continued !