Texte : Alexandre Metzger - Illustration : Alexandre Metzger - 12 novembre 2020

Hellraiser I

Ivre de sang

Après deux essais pas très concluants où son travail de scénariste est adapté de manière peu respectueuse (Transmutations et Rawhead Rex de George Pavlou), l’auteur britannique Clive Barker décide de réaliser lui-même l’adaptation d’une de ses nouvelles The Hellbound Heart. Hellraiser, le Pacte sort en 1988 et va tacher de rouge les écrans du monde entier. Un rouge vif, profond, sale, violent, malade, où le plaisir est synonyme de douleur et où l’amour passe par le sacrifice humain. Barker signe une œuvre que les fans d’horreur adulent très rapidement, tant elle s’accompagne de maquillages impressionnants et de personnages iconiques. Une mythologie est née…

Boîte de Pandore

Hellraiser premier du nom signe la genèse d’une mythologie qui va perdurer pendant de nombreuses années. Sur Terre, les humains peuvent ouvrir par l’intermédiaire d’une boîte qui est un cube parfait au mécanisme digne d’un casse-tête chinois, des passages vers un monde cauchemardesque et provoquer l’apparition de créatures appelées cénobites, démons semblant sortis tout droit de l’Enfer. Frank Cotten, un homme à la sexualité débordante, cherche à trouver de nouvelles satisfactions dans des pratiques violentes, là où les seuls plaisirs de la chair ont atteint leurs limites. En se procurant cet objet, il trouve une manière de combler ses désirs d’une manière extrême, où la souffrance devient la seule réponse. Lors d’un rituel où il actionne l’objet magique, Frank signe un aller simple vers l’extase ultime. Chaînes métalliques, crochets et instruments de torture transforment son corps en une multitude de pièces d’un puzzle de viande et de sang.

Frères de sang

Lorsque son frère Steve décide d’emménager avec sa femme Julia et sa fille Kirsty, née d’un premier mariage, dans la maison familiale laissée à l’abandon depuis dix ans, il constate que Frank y a séjourné entre temps. C’est en réalité dans cette même demeure que celui-ci aura vécu ses derniers instants. Julia, au départ peu réjouie à l’idée d’investir ces lieux immenses et vieillissants, semble changer d’avis en se remémorant les souvenirs de Frank et en imaginant peut-être le revoir. Tous deux ont vécu une relation sulfureuse des années auparavant, et elle s’est offerte à lui bien plus qu’à son mari, dont le classicisme et la politesse à l’anglaise en font l’exact opposé de son frère. Lorsque Steve s’entaille la main sur un clou saillant, le plancher maculé va s’abreuver de cette offrande inattendue. La maison est-elle hantée par un poltergeist ou par un esprit démoniaque ? Ni l’un ni l’autre. Sous le sol, dans la poussière et l’obscurité, quelque chose reprend vie, quelque chose qui semble éteint depuis longtemps se ravive…

L’être chair

Dans une scène spectaculaire où les peintres Francis Bacon et Jérôme Bosch semblent s’être donnés rendez-vous pour engendrer une œuvre commune, une créature informe se recompose. Peu à peu, on discerne dans cet amas de tissus putréfiés et de liquides visqueux des bras, des os, un cerveau. Un être pas encore humain, squelettique, mais bel et bien doté de vie grâce aux incroyables maquillages de Bob Keen, se dresse devant nous et pousse un râle tel un nouveau-né. Une belle leçon d’anatomie nous est donnée à travers un écorché vif plus vrai que nature, encore dénué de nerfs, de peau. Sans le savoir, le sang de Steve a déclenché la résurrection de son frère. Julia découvre avec horreur son ancien amant qui lui demande de l’aide. Tel un vampire, c’est de sang dont il a besoin pour retrouver sa véritable apparence, et seule Julia pourra lui procurer ce breuvage. Un tâche comparable à celle d’Isabelle Adjani dans Possession, ou de la jeune fille dans Morse : Julia part à la chasse aux hommes, des êtres si faibles et si corruptibles ! Ses proies sont des preuves d’amour pour Frank. Le sang de ses victimes, de la vie.

50 nuances de gore

Outre le bleu de la lumière blafarde qui marque à intervalles réguliers l’apparition des créatures, le rouge et le noir sont des couleurs dominantes dans Hellraiser, symboles de la rencontre entre la chair sous toutes ses coutures et le culte des plaisirs les plus sombres. C’est dans les tréfonds de l’âme humaine que Barker est allé puiser son inspiration. Les cénobites, personnages repoussants et cruels, vêtus de cuir et lacérés de cicatrices et de mutilations en tout genre, s’inspirent de l’esthétique sadomasochiste et ont l’apparence de prêtres d’une religion occulte. Leur leader, surnommé «Pinhead» au fil du temps (un nom que Barker ne lui a jamais donné et qu’il trouve indigne), est couvert de dizaines de clous sur toute sa tête. Une autre de ces créatures a sa gorge profondément ouverte. Le film cumule les tableaux gores où le sexe s’invite volontiers. Un spectacle audacieux, où l’humour n’a pas sa place. Au fil de l’histoire, l’horreur dévoilée à l’écran devient de plus en plus macabre.

Et l’Amour dans tout ça ?

Malgré toute cette cruauté débordante, ces fulgurances d’épouvante, c’est pourtant bien d’amour qu’il s’agit ! Frank n’a pour seul dessein que de retrouver son amante, et pour cela il souhaite simplement reconstituer son corps et sa peau qui lui redonnera son visage et lui fera redevenir lui-même. Et Julia ne pourra qu’être à nouveau satisfaite de retrouver cet être si charnel, si unique, même au prix des sacrifices les plus extrêmes… «L’Amour est plus fort que tout» disait le célèbre parolier, mais l’Amour rend parfois aveugle. Lorsque plusieurs réalités se confondent, que la douleur devient plaisir, que l’être aimé peut aussi être un danger, ces mots que Frank répète sans cesse, «Come to Daddy», prennent à leur tour un sens nouveau. Pour Kirsty notamment qui, par erreur ou par inconscience, aura affaire aux cénobites à son tour. Cette jeune femme qui découvre à peine l’amour se confronte à l’horreur de plein fouet. Mais les cénobites ne croient pas en l’erreur et faire appel à eux est forcément un choix, qui n’a qu’un but, atteindre la satisfaction ultime.

King of Horror

Stephen King, à la lecture des textes de Barker, ne tarit pas d’éloges sur le jeune auteur :« J’ai vu le futur de l’horreur, et son nom est Clive Barker». Impressionné, le Maître voit en lui la relève. Une relève de l’horreur plus organique, plus viscérale, qui croise les mêmes terreursinnommables qu’un certain Lovecraft, qui lorgne sur les mêmes terres que Cronenberg, qu’il fera jouer dans son deuxième film Cabal trois ans plus tard. Si Barker n’a finalement signé que peu de films en 30 ans, il a laissé son empreinte sur nos nombreux scénarii, dans la BD, le théâtre, la peinture et même le jeu vidéo. La littérature reste son grand Amour qui lui permet de créer ses mythes de manière naturelle, physique, frontale. Un artiste complet, et surtout complètement barré qui, aussi dérangé qu’il soit, a su apporté des sensations uniques à des lecteurs et spectateurs qui ont soif de sang neuf et de sensations nouvelles. Aphex Twin réalisera son morceau le plus célèbre en s’inspirant directement de la réplique de Frank. (Re)plonger dans l’enfer d’Hellraiser ne laissera jamais personne indemne, et c’est tant mieux.