Texte : Alexandre Metzger - 8 novembre 2021

Halloween Kills

Michael not dead

En 2018, David Gordon Green avait surpris et conquis de nombreux fans de la franchise Halloween en réalisant un nouvel épisode qui se permettait le luxe d’occulter tous ceux réalisés après le film matriciel de John Carpenter. Devenu le plus gros succès public de la saga, une suite et même deux ont été annoncées très rapidement. Dans la continuité directe de Halloween (2018), Halloween Kills sorti en octobre 2021 poursuit les événements de cette nuit terrible du 31 octobre 2018 qui vit s’affronter Michael Myers et Laurie Strode lors de leurs houleuses retrouvailles. Piégé par sa proie, le boogeyman finit cerné par les flammes, scrutant la caméra de son regard toujours aussi noir derrière son masque inexpressif. Michael Myers allait-il finir de manière aussi brutale? Il faut croire que non.
Toujours sous la bénédiction de Big John et de Jamie Lee Curtis, Halloween Kills est attendu avec beaucoup d’impatience et forcément une certaine appréhension. David Gordon Green allait-il renouveler son exploit ou finalement tomber dans son propre piège, dans cette malédiction qui semble poursuivre cette saga qui n’est jamais parvenue à rester cohérente.
A l’issue de la séance, on peut louer la démarche du réalisateur de poursuivre l’introspection de ses deux personnages-clés et de s’intéresser à l’univers qui les entoure, notamment en mettant en lumière la ville de Haddonfield et ses habitants, qui prennent une dimension inattendue. On peut par contre être désorienté par le manque de retenue dans l’excès de gore et le nombre de cadavres au compteur qui font parfois sortir le film de la terreur qu’il est censé procurer pour devenir un spectacle outrancier, un carnaval de meurtres sauvages qui oublie la sobriété et la simplicité qui faisaient tout le charme de son prédécesseur… La malédiction de la saga aurait-elle encore frappé ?

Back to 1978

Le précédent Halloween (2018), spectacle passionnant qui nous avait tenu en haleine près de deux heures durant, nous laissait presque sur notre faim avec un dernier plan de Michael Myers prisonnier des flammes. Il avait eu le temps de semer la terreur dans la ville de Haddonfield et de laisser une série de cadavres sur le chemin qui le menait à Laurie Strode avant de se faire piéger pour de bon. Halloween Kills nous plonge directement dans cette même nuit d’horreur, et c’est ainsi que l’on retrouve rapidement Karen et Allyson, respectivement fille et petite-fille de Laurie Strode; celle-ci est en soins intensifs au Haddonfield Memorial Hospital (clin d’oeil à Halloween II où se passait la majeure partie de l’action), fraîchement et gravement blessée par le boogeyman. Persuadées que Michael est bien mort dans l’incendie de la maison-piège, elles peuvent enfin imaginer se reconstruire un futur des plus serein. Un flashback nous replonge en 1978 et nous dévoile une séquence où Michael se retrouve face à deux policiers (l’un est incarné par Jim Cummings, l’acteur réalisateur indépendant très talentueux de The Beta Test et The Wolf of Snow Hollow auquel il ne manque qu’un premier succès public), dont les actes vont être déterminants dans l’arrestation de Michael Myers. Une mise en abyme dans les fondements mêmes de la saga, où David Gordon Green poursuit son impertinence et sa volonté de réinvention en poussant le vice à réécrire un bout d’histoire, à intégrer ses propres personnages dans l’univers du film de 1978. Doit-on parler d’audace ou d’imposture? Même le Docteur Loomis (« ressuscité » non pas par le numérique mais par un maquillage bluffant!) apparaît pendant quelques instants. Comme si la nécessité de raccrocher les wagons, afin de justifier ses choix narratifs, avait pris le dessus sur la bonne intelligence du public. Cette démarche qu’il avait su si bien éviter dans l’épisode précédent devient quelque peu artificielle et aurait pu être bien plus pertinente à travers quelques lignes de dialogues. Beaucoup de bruit pour pas grand chose, à part casser le rythme du film qui pouvait profiter du stress instauré dans sa première partie grâce à la continuité directe. Alors qu’à l’hôpital, Laurie Strode partage sa chambre avec l’agent Hawkins, lui aussi tourmenté par ses actes dans le passé et qui vient d’échapper de peu à la mort, au-dehors, les habitants de Haddonfield sont déjà au courant de la terrible nouvelle: Michael Myers est sorti indemne de l’incendie suite à l’intervention des pompiers. Ils partent à la poursuite du tueur masqué…

Welcome to Haddonfield

Le Shériff Bracket, Tommy Doyle, Marion Chambers… ce sont autant de personnages découverts dans Halloween de John Carpenter que l’on retrouve ici, avec une émotion évidente. Des enfants de Haddonfield eux aussi, marqués à jamais par leur rencontre avec Michael Myers. La nouvelle de son évasion fait remonter à la surface des années de colère, d’enfance brisée pour certains, de frustration pour d’autres. La ville et ses habitants prennent un relief inattendu. Ces rues, cette école, ce cimetière que Carpenter nous a rendus si familiers se dévoilent au-delà de leurs recoins. De nouveaux lieux nous sont révélés (le bar, la station essence…). La population, qu’on pouvait imaginer apeurée, faible et incapable de réagir face au mal qui l’avait privée de plusieurs de ses membres, va soudain s’exprimer d’une même voix, s’élever et traquer le monstre. Comme Frankenstein en son temps, Myers incarne une abomination, mais pour ce dernier, la haine est légitime. Nécessaire même. Ce qui l’est moins, c’est l’aveuglement qui en découle, lorsqu’un autre détenu en cavale est confondu avec Myers et subit les affres de ce mouvement de foule. Car le visage humain de Myers n’est connu de personne, seul son masque permet de savoir qui il est. Les armes à feu et la batte de baseball, beaux symboles américains, ont remplacé les fourches et les haches d’antan mais la violence est bien la même. C’est dans ces moments que Halloween Kills montre un potentiel indéniable, celui de révéler le mal qui est en chacun de nous et qui peut provoquer les pires injustices. La Fête des Morts prend tout son sens. Halloween est avant tout un folklore où enfants, ados et adultes s’amusent à se faire peur pour de faux, et dans le film le plaisir que procurent ces festivités est palpable et plus vivant que jamais. Mais lorsque l’incarnation du Mal absolu refait surface, l’occasion est trop belle pour chasser le naturel et mettre en pratique des années de séances de tir au pistolet et d’entraînement à l’auto-défense.
Tandis que la mauvaise proie a été le terrain de jeu de ces hommes et femmes en colère, Myers a eu tout le loisir de poursuivre sa marche machinale et décimer les malheureux qui le croisaient. Des victimes collatérales de la justice aveugle des habitants de Haddonfield qui s’additionnent pour atteindre des scores jamais atteints dans un autre épisode de la saga. Est-ce une manière pour David Gordon Green de poser ses marques après un premier effort qui s’inscrivait respectueusement dans la tradition ?
Son Michael Myers prend soudain un virage étrange, perdant son temps à mettre en scène certains de ses meurtres, comme s’il voulait participer à sa manière au décorum et offrir un spectacle macabre à ses concitoyens, comme un enfant dans le tourbillon de la fête qui prend à cœur son rôle pour LA nuit de l’année.

Laurie for ever?

Il en oublie presque Laurie Strode, qui reste alitée pendant presque tout le film. Ce sont la fille et la petite-fille de Laurie qui prennent comme un devoir le relais dans le combat. Dans le film de Carpenter, celui que l’on surnomme La Silhouette/The Shape avait très tôt jeté son dévolu sur Laurie, la désignant comme sa proie ultime et ne lui laissant aucun répit. Il poursuivait cette quête 40 ans plus tard dans Halloween (2018) mais David Gordon Green semble se perdre en chemin avec ce personnage habituellement déterminé à se focaliser sur sa cible. A moins que ce ne soit les habitants eux-mêmes qui, par leur peur et leur haine trop longtemps endormie, ont finalement attiré le boogeyman à eux, réclamant à leur tour la vengeance qu’ils méritent. Cet honneur ne peut que flatter Michael Myers et toute la violence qui lui est offerte le rend plus puissant que jamais. Véritablement surhumain, il montre bien que ce n’est pas le masque qui lui offre cette force. Une scène qui renvoie au final du Halloween de Carpenter où Michael dévoilait déjà son visage et une certaine résistance aux coups, c’est peu de le dire… Le masque n’est qu’un artifice pour ôter un aspect de lui qui le rend bien trop commun.
Michael, en supprimant le personnage central du trio Strode, à savoir Karen, ne pouvait pas réaliser d’acte plus symbolique: sa mère et sa fille ne pourront qu’être anéanties par cet acte de cruauté ultime, qui signe l’échec de Laurie dans “l’éducation/entraînement” de sa fille, et leur rappelle ô combien elles sont de faibles créatures, de simples mortelles…
Ces arcs narratifs et psychologiques sont assurément une force dans le déploiement de l’histoire de David Gordon Green et donnent du relief à des éléments fondateurs du mythe, mais quelques maladresses et des scènes inutiles entachent un peu cette suite qui était attendue au tournant. La place qu’occupe cet épisode dans la trilogie peut être une des causes de ce déséquilibre. Autant dire que Halloween Ends, même si son action se situera quatre ans après ces évènements, devra clore en beauté et en cohérence le troisième acte de cette nuit d’Halloween décidément aussi passionnante que déroutante…
Rendez-vous en octobre 2022 !