Texte : Alexandre Metzger - 17 avril 2021

Robocop I

Police de caractère

Le cinéma de science-fiction a de nombreuses fois vu aborder le thème du robot, de l’homme-machine ou de l’intelligence artificielle de manière admirable. Les années 1980 ne dérogent pas à la règle et sont même une décennie florissante en la matière : Saturn 3 et son robot tueur (1980), Blade Runner et ses réplicants philosophes (1982), Terminator et… son robot tueur (1984), Aliens et son androïde sensible Bishop (1986),… Début 1988 en France, Robocop dévoile son armure de chevalier des temps modernes dans un futur hyper-violent. Une œuvre inattendue, menée de main de maître par un novice dans la science-fiction mais déjà responsable d’œuvres marquantes dans sa Hollande natale, Paul Verhoeven. La traversée de l’Atlantique donne des ailes au réalisateur qui nous livre ni plus ni moins qu’un nouveau classique du genre. Pas totalement machine mais loin d’être encore un humain de chair, ce nouveau personnage qui nous est offert se montre tour à tour flic exemplaire, héros violent, justicier revanchard. Au lieu de nous livrer un super-héros-movie lisse et décérébré, Verhoeven nous présente une caricature de l’Amérique, où corruption et sécurité sont devenues les deux mamelles du pays, le tout enveloppé dans un cynisme qui en déroutera plus d’un.

Un monde en déclin, avec le sourire

Alors que le nom de la mythique société de production Orion (Terminator, Amadeus, Le Silence des Agneaux, Danse avec les Loups…) laisse la place à un rapide plan aérien d’une ville moderne américaine sur fond de musique synthétique, le logo énorme Robocop apparaît à l’écran. Puis c’est au tour du générique de Media Break, le journal télévisé animé par les souriants Casey Wong et Jesse Perkins, de s’imposer. Pourtant tragique et sérieuse, l’actualité qui y est présentée prête à sourire tant le monde qui est raconté semble être devenu une farce : menace d’utilisation de la bombe nucléaire pour contrer une manifestation civile, incident lors de la visite du président américain à bord d’un satellite et surtout, on y apprend que la police de Detroit est désormais financée et dirigée par une entreprise privée ! Deux minutes de news entrecoupées… d’une publicité, quoi de plus normal ? Une entrée en matière assez perturbante : à la fois audacieuse et inédite dans sa longueur (deux minutes tout de même), dont on ne mesure pas tout de suite l’intérêt ou la pertinence, elle peut laisser circonspect tout spectateur, qu’il soit venu pour voir un film d’action ou un potentiel grand film de science-fiction. Ce ton à la limite de la parodie n’est pas pour déplaire, mais l’exercice peut s’avérer extrêmement périlleux, surtout lorsqu’on est loin de pouvoir deviner les intentions de son réalisateur, loin d’être un inconnu pour une bonne partie des cinéphiles, qui fait alors ses premiers pas dans la science-fiction.

De la Hollande à Hollywood

Car en cette fin des années 1980, Paul Verhoeven, qui approche la cinquantaine, peut se targuer d’un parcours assez atypique : d’origine hollandaise, il démarre sa carrière par la série TV moyenâgeuse Floris, héros incarné par son compatriote Rutger Hauer, et enchaîne avec lui plusieurs longs-métrages au cinéma dont les sulfureux Turkish Délices, Katie Tippel qui sont d’énormes succès aux Pays-Bas. Le Choix du Destin lui apporte une première consécration à l’internationale. Suivront Le Quatrième Homme et La Chair et le Sang (coproduction hispano-hollandaise d’Orion Pictures).
Toutes ces œuvres sont synonymes de collaboration fructueuse avec le scénariste Gerard Soeteman et le directeur de la photographie Jan de Bont, qui précédera de quelques années la venue de Verhoeven aux Etats-Unis en excellant d’abord dans son art de prédilection sur des titres prestigieux (Cujo, Piège de Cristal, Black Rain,…) avant de passer lui-même à la réalisation (Speed, Twister…). Alors que les sirènes de Hollywood (notamment Spielberg) appelaient depuis quelques temps déjà Verhoeven à tenter l’aventure américaine, celui-ci, échaudé par la demi-réussite de La Chair et le Sang et un différend sévère avec Rutger Hauer, se décide à quitter son Europe natale en 1985. Hollywood lui ouvre ses portes et est loin de se douter qu’elle laisse entrer une personnalité hors du commun qui va vite se faire remarquer.
Pas très à l’aise avec la langue anglaise, épaulé une fois encore par Spielberg, Verhoeven va dans un premier temps devoir (re)faire ses preuves en passant par la case télévision pour s’adapter à la méthode de travail américaine et collaborer avec une équipe totalement nouvelle. Rapidement, on lui propose un premier scénario de long-métrage intitulé Robocop, écrit par Edward Neumeier et Michael Miner. Un mix des mots « robot » et « cop » loin d’être subtil, qui sonne un peu comme un titre provisoire, stratagème assez courant pour des films devant rester secrets et éviter les fuites dans la presse (par exemple, lors de leur tournage, Alien s’intitulait “Star Beast”, PredatorThe Hunter”). Mais le Hollandais déteste le script, et ce n’est que sur l’insistance de sa femme qu’il parvient à y déceler un potentiel qu’il s’agirait d’intensifier : la dimension politique, la figure christique du héros, la violence graphique entre autres.

Pleins feux sur Detroit

Detroit, le berceau de l’industrie automobile triomphante et du Fordisme dans les années 1920, s’est transformée en quelques décennies en un symbole du déclin américain. Le choix de cette ville comme cadre de l’histoire est réellement pertinent car il apporte une crédibilité immédiate sans avoir besoin de grossir les traits d’une réalité déjà alarmante au moment où le film est réalisé (le tournage a lieu à Dallas en vérité). Taux de chômage vertigineux, exode de la population, augmentation de la violence, la chute de Detroit ne fera que se confirmer (la ville s’est déclarée en banqueroute en 2013). C’est dans ce même postulat que le film propose un futur proche où la police compte des dizaines de victimes parmi ses effectifs, en proie à des individus toujours plus dangereux. Des hommes surarmés, menés par un leader impitoyable, Clarence Boddicker (excellent Kurtwood Smith), tristement surnommé le tueur de flics.
L’OCP (Omni Consumer Products) se présente comme la solution à tous les maux de la ville. Cette entreprise de services investit dans des domaines aussi variés que la santé, les prisons, l’espace, la sécurité… Sous ses airs philanthropiques, elle n’a en réalité que le profit comme objectif. Une nouvelle génération de policier est proposée en comité de direction : ED-209, un droïde ultra militarisé destiné à protéger les habitants, imaginé par Dick Jones (Ronny Cox, glacial à souhait), un des cadres importants de la société. Dans la cité historique de l’automobile, la machine qui nous est dévoilée pourrait signifier une reprise de l’industrie et le moyen d’éradiquer le « cancer » qu’est devenue la vieille ville et la remplacer par Delta City, projet pharaonique de modernisation. Seulement voilà, la démonstration tourne à la catastrophe et c’est le moment rêvé pour Bob Morton (Miguel Ferrer), jeune loup insolent, de sortir les crocs et de parler de son propre projet au grand patron de l’OCP, le programme Robocop… S’il était permis de se questionner jusqu’à présent sur la direction que prenait le film, la scène de l’ED-209 dévoile de manière brutale la personnalité de son auteur et porte la signature d’un futur nom important de la science-fiction… Humour noir, ultra violence, sous-texte politique et technocratique : bienvenue dans l’anticipation selon Paul Verhoeven !

La loi de Murphy

Alex Murphy arrive pour son premier jour dans un commissariat très animé où les policiers d’Etat et ceux de l’OCP travaillent conjointement, non sans quelque hostilité. Il fait partie de ces nouveaux représentants de la loi recrutés par cette puissante société afin de combattre le crime à Detroit. C’est un jeune homme charmant au sourire généreux qui reçoit en guise d’accueil un « Bienvenue en enfer » dont il est loin de se douter de la portée prophétique. Il rencontre rapidement sa coéquipière Anne Lewis (craquante Nancy Allen) au tempérament bien trempé, et leur duo laisse augurer une belle et efficace collaboration. Mais le sort en décide autrement et lors de leur première sortie en mission, ils croisent le feu de dangereux criminels et se retrouvent piégés dans une aciérie désaffectée.
Murphy va succomber sous les balles de ces hommes qui se situent au-dessus des lois, dans une scène d’une violence inouïe, peu habituelle dans ce genre de production. Le sort du jeune homme, criblé de dizaines de balles par la bande hilare de Boddicker, est scellé. La souffrance qui émane du personnage pendant ce moment interminable est viscéralement palpable tant le jeu de Peter Weller, hurlant d’horreur et de douleur, est réaliste. Lorsque son supplice est enfin abrégé lors d’un dernier coup de revolver, c’est presqu’un sentiment de soulagement qui s’empare du spectateur tant cette scène a su atteindre un niveau d’intensité rare. Un nouvel anonyme se rajoute à la liste des policiers abattus à Detroit. Mais Boddicker est loin de se douter que cet énième homicide ne restera pas sans conséquences…

50 homme, 50 % machine, 100% flic

C’est ce qu’annonçait l’affiche en 1988. En réalité, du pauvre Murphy ne sera conservé qu’un torse sans bras ni jambes. Sa mort cérébrale en a fait le candidat idéal pour le premier prototype de Robocop. Le « réveil » du cyborg se fait en fanfare, comme on fêterait un nouveau modèle de véhicule ou la promotion d’un collègue. Désormais, le Murphy d’acier n’a plus aucun souvenir de sa vie d’avant, sa mémoire ayant été effacée, formatée par la technologie chirurgicale. Robocop devient ainsi le premier exemplaire d’un nouveau modèle de superflic. Le casque laisse entrevoir le bas du visage de l’homme qu’il a été. Le design de Robocop avait été dévoilé en amont de la sortie du film et avait déjà pu titiller la rétine d’amateurs de science-fiction. Il évoquait plutôt le Metropolis de Fritz Lang que le Terminator de James Cameron et sur l’affiche officielle, il avait sacrément fière allure. Lorsque l’on voit pour la première fois le robot se mouvoir à l’écran, un acteur dans un costume rappelons-le, il est impressionnant de constater l’osmose qui se dégage du jeu mécanique de Peter Weller, de sa démarche saccadée à la perfection et sa manière de s’exprimer. Le tout, amplifié par un incroyable sound design. Difficile de ne pas tomber sous le charme de cette nouvelle créature de cinéma, dessinée par Rob Bottin, qui prend vie devant nos yeux. Ce surdoué des effets spéciaux mécaniques, qui a fait ses armes sur King Kong (1976) sous la houlette de Rick Baker, marque les années 80 de son immense talent à travers les maquillages somptueux de Fog, Hurlements, The Thing, Legend… Il s’en donne également à cœur joie dans les effets gores de Robocop, le film évitant le classement X suite à des coupures de plans jugés trop extrêmes.
Le clou est définitivement enfoncé lorsque la bête est lâchée pour sa première mission, moment puissant transcendé par le thème héroïque de Basil Poledouris, qui signe là un nouveau chef-d’œuvre après les deux BO de Conan et… La Chair et le Sang, première collaboration avec le Hollandais violent. Il alterne avec aisance fulgurance épique dans la lignée de sa partition pour le célèbre barbare et envolées lyriques pour les moments plus intimistes et intérieurs du personnage, traduisant les deux facettes de ce robot qui retrouvera peu à peu une part d’humanité pourtant bien enfouie dans ses composants électroniques.

Robocop rêve-t-il de moutons électriques ?

Alors que le nouveau justicier devient rapidement une curiosité, pour les policiers bien sûr mais aussi pour la presse, et que ses rencontres avec le public et ses interventions sont des succès indéniables, il semble, lui aussi, en prise à de légers défauts de fonctionnement. Parmi les phrases formatées qu’il prononce en guise de prévention en direction des malfrats qu’il interpelle, des répliques inconscientes surgissent. Des souvenirs également, sous forme de rêves dont il ne peut comprendre l’origine et qui l’affectent psychiquement et physiquement. Et lorsque sa partenaire Lewis lui fait face et le questionne sur son passé pas si lointain, elle ne fait que stimuler un peu plus ce processus de résurgence. « Murphy, c’est toi ! » Robocop n’a plus qu’un objectif en tête, partir à la recherche de cet homme qu’il a le souvenir d’avoir été.
Le peu qu’il lui reste de Murphy engendrera un questionnement sur sa nature et son existence, lui permettra de comprendre qui il était : un mari, un père. Lorsqu’il retourne dans la maison où il a vécu, dans une atmosphère qui mêle passé et présent, c’est à un vrai bijou de mise en scène que l’on a droit. Le héros, d’abord tout en intériorité, laisse peu à peu exprimer une colère sourde, puis une rage non contenue. Sans prononcer un mot, il traverse cet espace intérieur vidé de ses habitants, mais dont les quelques souvenirs refaisant surface prennent sens peu à peu dans son esprit et ne font qu’augmenter la détresse du personnage. Désormais prisonnier de son enveloppe d’acier, il ne peut que se résigner à cette réincarnation irréversible. Fabriqué et programmé pour faire respecter la loi, il n’a plus d’autre alternative que de jouer son rôle de justicier, en affrontant ces fantômes qui viennent le hanter lorsqu’il est en état de veille…

La chair et l’acier

Verhoeven dévoile un style de mise en scène fluide et raffiné, fait de cadrages et décadrages inventifs, de contre-plongées vertigineuses qui valorisent son héros. Il démontre un sens de l’espace et de l’action parfaitement lisible qui rend la narration limpide. La photographie du film est signée par un autre fidèle du réalisateur depuis 1977, Jost Vacano. Si un aspect général grisé et les tons froids de l’acier dominent la majeure partie des images du film (la ville, les robots, l’architecture moderne…), elles révèlent de beaux reflets rosés sur l’armure et laissent tout de même une grande place aux teintes de la chair. Ces nuances de chair et de métal apportent une identité à l’univers de Robocop qui évite des contrastes trop criards et un côté clinquant qui aurait pu le desservir.
Plus de 30 ans après sa sortie, à l’instar de Terminator qui pourrait être sa référence la plus évidente (les vues subjectives du T-800 par exemple), Robocop est toujours visuellement splendide, et ne détonne aucunement avec la science-fiction dite « sérieuse » des années 2000 qui cherche à représenter un futur crédible (Minority Report, District 9, Oblivion, Premier Contact pour ne citer qu’eux). Si les effets spéciaux actuels permettent toutes les folies et la perfection en terme de représentation de la technologie à l’écran, le film de Verhoeven déborde de tant d’originalité, d’idées visuelles et de générosité dans les effets traditionnels qu’il supporte la comparaison sans aucun problème avec des œuvres plus récentes, et s’inscrit dans cette catégorie de films qu’on peut aisément nommer « modèles du genre ».
Verhoeven se montre également un directeur d’acteurs hors pair, car malgré un manichéisme exacerbé, chaque protagoniste possède un charisme, ou à défaut un trait de caractère, un look bien à lui. Les seconds couteaux du terrible Clarence Boddicker sont presque attachants tant leur hargne et leur dévotion frisent la caricature. Verhoeven parvient à prouver sa considération envers certains d’entre eux en leur accordant une fin hautement mémorable… La scène où le personnage d’Emil voit son corps liquéfié suite à un bain d’acide inopiné est un chef-d’œuvre du gore qui marquera plus d’un amateur de mort… originale !
Cette exagération s’exprimera régulièrement dans sa filmographie, traduisant une envie de s’éloigner des produits policés hollywoodiens, voire celle de choquer le spectateur, peu habitué à une violence aussi frontale. Les morts seront souvent brutales, le sang et le sexe s’invitant allègrement dans la démonstration, qu’on pourrait un peu rapidement qualifier de provocante, là où Verhoeven parlera de démarche instinctive, organique (Total Recall, Starship Troopers ou Basic Instinct ne dérogeront pas à la règle). Une anecdote assez drôle est à signaler d’ailleurs. Si une deuxième version du scénario a bien entendu été écrite, comme c’est souvent le cas pour beaucoup de projets à Hollywood, Verhoeven avouera plus tard, un peu honteux, avoir demandé une troisième version où Murphy et Lewis auraient une liaison. Du pur Verhoeven qui aime injecter un côté sulfureux dans ses films mais dont la lecture l’a heureusement convaincu à retourner à la version précédente du script, bien supérieure. Il faut accorder au duo de scénaristes Neumeier/Miner l’entière qualité de l’écriture du film et la création des personnages, Verhoeven n’ayant pas fondamentalement réécrit quoi que ce soit, mais plutôt apporté son génie à le mettre en forme de la plus belle des manières.
Livrer au public une œuvre aussi violente aurait pu être un choix risqué pour son premier essai américain, car il traduit une audace de sa part mais aussi de celle des producteurs, il faut le concéder. Cet examen de passage qu’a constitué Robocop aurait pu signer son billet retour au vieux continent en cas d’échec. Le succès du film confortera le réalisateur à poursuivre dans sa manière de fonctionner bien à lui.

Robot malgré lui

Robocop aurait pu se contenter d’être un film d’action futuriste, avec son idée d’humain transformé en robot plutôt intéressante, sa galerie de personnages hauts en couleur, son contexte social et politique situé dans une ville lourde de sens. Il en aurait résulté un très bon spectacle à l’esprit BD assumé de bout en bout. Seulement voilà, Verhoeven parvient à insuffler au film une folie et surtout une intelligence loin d’être artificielle qui transcende le personnage en une figure dramatique proche du monstre de Frankenstein, doublé d’un christ vengeur. Murphy, le flic exemplaire déterminé à faire son job du mieux possible, est sacrifié de manière terrible lors de sa première sortie en mission. Littéralement crucifié au sol, son calvaire est long et douloureux avant qu’on ne lui assène le coup de grâce. Ramené à la vie par la folie de la science, il suscite dans un premier temps l’étonnement pour ses pairs policiers ainsi que pour la population et devient rapidement un acteur important du paysage urbain.
A grand renfort de communication et de bains de foule, Robocop incarne la réponse à cette violence permanente et représente le futur visage de la ville, enfin débarrassée de sa gangrène. Une réponse violente elle aussi, c’est bien là que la figure christique atteint ses limites, ou plutôt les dépasse, Verhoeven proposant sa version d’un prophète loin de tendre la joue gauche. Sacrifié en quelque sorte pour le bien-être des habitants de la mégalopole, ce sauveur-là n’a d’autre choix que celui des armes. Mais à mesure que le robotique Murphy se confronte à l’ennemi et retrouve dans les tréfonds de sa mémoire des bribes de son passé, recouvrant ainsi quelques parts d’humanité, il devient gênant pour cette technocratie haut-placée. Trop conscient de leur fonctionnement criminel et de leur cupidité sans scrupule, trop intègre pour accepter leur impunité, il devient l’homme à abattre.
Verhoeven assume cette part mystique (déjà présente dans ses œuvres précédentes) et fait de son film une relecture déguisée du parcours d’un messie cybernétique dont le chemin de croix sera des plus tortueux : son existence étant mise à mal par ses créateurs, il le fait tomber plus bas que terre, lapider par ses collègues flics ou robots, sa carapace de métal se retrouvant criblée de nombreux stigmates. Et dans l’histoire qui nous intéresse ici, c’est également une femme, Anne Lewis, qui lui apportera son aide, afin qu’il puisse se réparer et retrouver ses capacités. Il tombe le casque pour dévoiler son véritable visage, comme une ultime manière de refuser son état de machine au profit de sa part d’humanité, certes peu visible, mais si prégnante. Pour sa collègue, Robocop est toujours resté Murphy, et pour nous spectateurs, il devient de moins en moins une machine.

Classique (définitif ?) de la SF

Chaque décennie a apporté son lot de chefs-d’œuvre ou de classiques instantanés de la science-fiction au cinéma. Dans la décennie qui nous concerne, Blade Runner avait atteint la grâce à travers ses réplicants philosophes. Terminator proposait un questionnement d’un monde qui devenait dépendant de la technologie. Robocop apporte une nouvelle vision de l’homme face à la machine. En cette fin des années 80, il symbolise la vision d’auteurs qui, après les années de règne de Ronald Reagan marquées par des héros américains surpuissants bigger than life (Rocky et Rambo en tête), retournent vers des personnages plus humains, physiquement et psychologiquement parlant. Même si Alex Murphy n’est plus qu’un reflet de l’être qu’il a été, il garde au fond de lui des sensations à défaut de véritables sentiments, et c’est dans ses échanges intimes avec l’agent Lewis que Verhoeven parvient à filmer l’invisible : l’âme de son protagoniste.
Peter Weller, loin d’être une star, que le public a pu découvrir quelques années auparavant sous les traits de Buckaroo Banzaï, une potentielle saga éponyme avortée après un premier opus qui n’a pas rencontré le succès, est un choix plutôt audacieux. Sa gueule d’ange ne laisse pas augurer la tragédie qui va suivre et la violence qu’il saura exprimer à la suite de sa mutation en Robocop. C’est sans aucun doute le rôle de sa vie pour cet acteur finalement assez discret mais qui est pour une bonne part responsable de la grande qualité du film de Verhoeven. Il rempilera trois ans plus tard dans l’armure de ce nouveau personnage iconique aux côtés de Nancy Allen pour un Robocop 2 de très bonne facture, avant de laisser le costume à un autre candidat, évitant ainsi d’être le complice du naufrage de la franchise. Quant à Verhoeven, non content d’avoir été le maître-d’œuvre de ce premier opus, il va s’engouffrer dans ce genre qu’il a su apprivoiser et transcender à sa manière, la science-fiction. Suivront Total Recall, et surtout Starship Troopers, déluge de gore, de sourires parfaits et d’impérialisme américain, qui divisera autant le public que la critique… Robocop aura droit à un remake en 2014, qui oubliera au passage le second degré et surtout, malgré ses effets spéciaux parfaits et son casting prestigieux, ce que l’on attend d’un auteur digne de ce nom : une vision.