Texte : Alexandre Metzger - Illustration : Alexandre Metzger - 6 mars 2021

Mad Max II

Le Guerrier silencieux

Illustration film Mad Max 2 par AlxTandis que début janvier 1982, Mad Max premier du nom sortait dans les salles de cinéma françaises après une longue période de censure, Mad Max 2, le Défi, remportait le Grand Prix au Festival du film fantastique d’Avoriaz, présidé cette année-là par Jeanne Moreau. C’est la consécration pour George Miller ainsi que son producteur et ami Byron Kennedy, avec un succès fulgurant à la clé dans le monde entier. Quelques mois plus tard, le public peut plonger dans cette suite bénéficiant de moyens bien supérieurs à son modèle qui permettent au réalisateur australien de pousser encore plus loin tout ce qui a fait l’essence de son premier long-métrage : des cascades à pleine vitesse impressionnantes, un univers cette fois-ci post apocalyptique rendu crédible et cohérent grâce à un superbe travail sur les décors, les véhicules et les costumes semblant construits à partir de récupération et de bricolages savants. Un nouveau monde issu des vestiges de l’ancien, où l’énergie, qu’elle soit électrique ou fossile, a pratiquement disparu. A la fois très différent du précédent et pourtant très semblable par beaucoup d’aspects, il en résulte un néo western moyen-âgeux où des chevaliers en armure s’affrontent sans pitié pour s’emparer du peu qu’il reste encore de cette ressource rarissime qu’est devenu le pétrole. Pétrole qui, comme l’annonce le prologue constitué d’archives en noir et blanc, a purement et simplement causé l’anéantissement de la planète! Bienvenue dans le chaos…

Rencontre choc

Si Miller est connu pour avoir eu une carrière de médecin urgentiste, on a parfois l’impression qu’il s’est soudainement improvisé réalisateur. En réalité, le jeune homme est très tôt intéressé par le dessin et la peinture, marqué comme beaucoup d’autres (George Lucas, Ridley Scott, Alain Chabat, Luc Besson…) par la revue française Metal Hurlant, bible de la science-fiction dessinée. Le cinéma est un prolongement naturel de son attrait pour la pratique artistique et c’est en se rendant à des cours d’audiovisuel à l’Université qu’il fait une rencontre qui va être déterminante pour lui en la personne de Byron Kennedy. Producteur de 20 ans à peine, il est déjà expérimenté dans le court-métrage, la publicité et le documentaire. Une amitié se dessine très vite. Ils fondent la société de production sobrement intitulée Kennedy/Miller qui voit naître un premier essai en 1971 sous la forme d’un court-métrage de vingt minutes, Violence in the Cinema, Part 1, sorte de parodie de film éducatif ayant pour thème la violence sur grand écran… D’autres projets confidentiels se succèdent au fil des années, mais dans la tête de Miller, qui poursuit sa carrière médicale, des images commencent à prendre forme, inspirées par son quotidien de soignant, par les faits divers et par la violence du monde. Cette longue réflexion aboutit au projet de Mad Max, dont le tournage commencera fin 1977. La collaboration entre les deux hommes est à considérer comme une véritable osmose, depuis l’écriture du scénario à quatre mains, en passant par la réalisation et les cascades qu’ils se partagent et même jusqu’au montage durant la post-production. Kennedy avoua être assez allergique aux dialogues et préférer l’action pure. On peut donc lui accorder une paternité incontestable au style de Mad Max. Miller pourrait représenter la partie romantique et intègre du personnage avant qu’il ne sombre dans la folie. Une double personnalité qui était un des axes narratifs du premier film. Le succès fulgurant de ce long-métrage leur ouvre les portes d’Hollywood. On aurait même proposé à Miller de réaliser Rambo. Mais le duo gagnant australien n’en à que faire et continue à œuvrer à de la production pure (The Chain Reaction de Ian Barry, un film catastrophe avec trois acteurs de Mad Max: Steve Bisley, Hugh Keays-Byrne et même… Mel Gibson) et surtout s’attelle à leur futur chef-d’œuvre, Mad Max 2 ! Le générique s’ouvre à l’identique de son prédécesseur avec les deux noms s’inscrivant à égalité comme producteurs : le sobre lettrage blanc sur fond noir “KENNEDY MILLER Present” fait poindre comme une bonne odeur de gasoil à l’horizon…

Il sera une fois…

La race humaine dépeinte dans Mad Max 1 par George Miller avait déjà atteint un point de non retour et un paroxysme de violence avec des routes étaient devenues des champs de bataille, et les villes le théâtre de violences perpétrées par des hordes de fous furieux à moto. La police effectuait encore sa mission de sécurité publique du mieux qu’elle pouvait, même si elle utilisait des méthodes assez anarchiques pour y parvenir. Max Rockatansky était de ces hommes vêtus d’uniformes de cuir noir, œuvrant au volant de bolides d’interception trafiqués, ne faisant parfois qu’un avec les machines. En continuant leur course effrénée bien au-delà de l’entendement, les humains ont donc finalement touché du doigt… l’inéluctable, l’irréversible. L’Apocalypse? Le Jugement Dernier? La Troisième Guerre Mondiale? Peu importe, le message d’introduction à Mad Max 2 ne laisse pas de doute: les dirigeants ont continué à parler sans volonté de s’écouter ni de se comprendre, les peuples se sont soulevés, les armes ont remplacé les mots et tout est allé très vite pour arriver au chaos. La force de ces toutes premières images en noir et blanc vient du fait qu’elles sont réelles, issues de sources des quatre coins du monde (Europe, Asie, Amérique…) montrant une violence frontale qui sera toujours plus impressionnante et vicérale que n’importe quelle fiction. Et l’art du montage aidant, combiné à la voix off dont on ignore à ce moment-là l’identité, permet d’ancrer l’histoire qui va suivre dans notre réalité future tout en lui donnant le statut de conte qui relate au passé les exploits d’un personnage qui deviendra légende. Une tonalité réaliste qui, dans le contexte d’une dystopie comme ici ou d’une épopée de fantasy comme Conan le Barbare sorti quelques mois plus tôt, permet de créer un parallèle avec notre époque et s’affiche une fois de plus comme un miroir déformant à peine notre civilisation.

Souvenirs du futur

Imaginer la Terre après un cataclysme qui aurait décimé quasiment toute vie humaine, animale et même végétale, n’est pas née avec Mad Max 2. En réalité, très tôt dans l’histoire du cinéma, des cinéastes ont travaillé sur cette idée terrifiante de manière plus ou moins réussie. Anticiper la perte de sa propre espèce est depuis longtemps un sujet d’inspiration pour des auteurs en quête de questionnement existentiel. Ainsi, avec des titres explicites tels que The last Man on Earth (John G. Blystone, 1924), d’après une nouvelle de Mary Frankenstein Shelley, Deluge (Felix E. Feist, 1933), Day the World ended (Roger Corman, 1955)… le 7e art nous propose rapidement de nombreuses visions de l’effondrement de la civilisation pas toujours convaincantes. Quelques années plus tard, plusieurs œuvres commencent à dépeindre un monde futuriste plus crédible qui seront des influences plus ou moins assumées par Miller. Apocalypse 2024 en est peut-être la plus évidente. Le film, une uchronie où Kennedy n’aurait jamais été assassiné, démarre par une succession d’explosions atomiques, résultat d’une IVe Guerre mondiale expéditive. Un homme (Don Johnson bien avant Miami Vice) et son chien déambulent dans un monde désertique à perte de vue, à la quête, respectivement de femmes et de nourriture, croisant de temps à autre des hordes de nomades plus dangereuses les unes que les autres. Une peinture bien peu reluisante des survivants et un résumé qui pourrait convenir à Mad Max 2, les véhicules en moins. Le Survivant, La Planète des Singes, Soleil Vert, New-York ne répond plus, Les Survivants de la Fin du Monde… précèdent eux aussi le film de Miller et tentent chacun à leur manière d’imaginer la Terre de demain. En revanche, Miller, fort de toutes ces influences, va parvenir à créer un univers foisonnant qui ne demandera qu’à s’étendre, dévoilé au gré des déambulations de sa créature Max, et qui deviendra ni plus ni moins que le représentant définitif du genre post-apocalyptique.

Le Monde d’après selon George

Comme bon nombre de films, Mad Max n’a pas été pensé au départ comme une série de films. Mais le succès aidant, le potentiel de cette œuvre n’a demandé qu’à être développé. Comparé au budget dérisoire que représentait le premier long-métrage de Miller, sa première suite, au budget multiplié par dix, va lui permettre de pouvoir exaucer bien plus de délires et idées folles qui traversent son esprit créatif. Mais l’argent aurait pu brouiller l’esprit du réalisateur et de son co-producteur. Au contraire, il va injecter chaque dollar australien et toute son énergie dans le film et il est étonnant de constater comment la transition entre les deux œuvres va se faire de manière cohérente et limpide.
Miller a fait traverser à Max des épreuves inhumaines et l’avait laissé tel un fantôme à la fin du premier film, mort à l’intérieur, avec comme seul compagnon son chien. Max a enterré sa femme et son fils, et avec eux, sa vie d’avant. Il n’est devenu ni un martyr, ni un héros. Miller ne lui a offert ni un thème musical, ni une destinée hors du commun, il lui a simplement bousillé l’existence. Puis le monde a implosé et plus rien de ce qu’il a connu n’existe encore. Des années ont passé, laissant la place à un monde qui renaît de ses cendres, délabré, peuplé de personnages qui ne sont plus des individus normaux. Miller va le faire quitter la route pour le désert, où un semblant de vie et de société a pris une nouvelle forme. La force de Mad Max 2 est de parvenir à conserver le style de son modèle (action, violence) tout en se situant dans un univers très différent graphiquement et d’offrir une expérience totalement nouvelle, sans que la rupture soit choquante. Une évolution audacieuse qui conviendra à tout amateur de suites qui cherche à être surpris voire bousculé dans sa quête d’œuvres marquantes. Le choix d’un narrateur aurait pu rendre l’aventure prétentieuse ou lourdingue, mais à travers cette poésie baroque dictée par une voix caverneuse, Miller et Kennedy instaurent une ambiance unique et démontrent qu’ils ont pleinement conscience de la dimension de leur œuvre et qu’ils la maîtrisent totalement.

la route au désert…

Le film démarre en trombe. Max roule à une vitesse folle au volant de sa Ford Falcon désormais bien rouillée, son chien assis à sa gauche, à la place du mort. Il est poursuivi par plusieurs véhicules à deux et quatre roues, pilotés par des fous furieux. La jauge de l’Interceptor indique la zone rouge de la réserve. L’essence, le sang de la Terre qui a fait tourner le monde si vite, trop vite, et qui l’a mené à sa perte, est devenue une denrée extrêmement rare. Les barbares de la route ont à peine changé d’apparence. Mélange de punks et de chevaliers en cuir SM bardés de chaînes. Max, alias Mel Gibson, a attrapé quelques cheveux blancs, son chien aussi, et arbore une barbe de quelques jours. Son visage est dur. Le décor est sensiblement le même: la route est un peu plus encombrée de débris et de cadavres qu’avant, le paysage plus désertique. Rodé à ce qui semble être devenu son quotidien, Max parvient à se débarrasser une fois de plus de ses poursuivants. Son visage s’illumine un instant lorsqu’il trouve et actionne une petite boîte à musique qui joue «Joyeux anniversaire». Un objet qui symbolise à lui seul un monde qui a pu être si poétique.

Max délaisse le bitume pour le désert et ses routes caillouteuses et croise une sorte d’illuminé menaçant mais qui semble peu dangereux, un grand échalas habillé comme un pilote et qui possède un drôle d’engin volant bricolé, bien gardé par son serpent. Après des présentations plutôt houleuses, celui-ci le guide vers une forteresse qui contiendrait une grande quantité d’essence. Sorte de château fort dont les tours seraient des citernes et des piles de pneus, protégé par des chevaliers tout de blanc vêtus (des armures composées de vestiges d’un temps lointain, combinaisons de sport, articles militaires…), dont le leader se nomme Pappagallo. En réalité, quelques dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants vivent en harmonie dans cette oasis, dans le bruit sourd des pompes puisant l’or noir jour et nuit. On y voit même une basse-cour où poules et cochons (Miller prouvera plus tard dans sa carrière qu’il les affectionne tout particulièrement en produisant Babe) gambadent librement. Une mini-cité, un concentré de poussière, de fumée et de sueur, régulièrement attaquée par des hordes sinistres motorisées, convoitant le précieux carburant.

L’Enfer sur Terre

Car face à eux se dresse le terrifiant Humungus, à la tête d’une meute de clowns meurtriers, de freaks acrobates SM. Son look, à la fois ridicule et diabolique, nous renvoie à des personnages de BD caricaturés au possible, comme les barbares musculeux de feu Richard Corben par exemple. Son pouvoir de domination, de vie ou de mort sur quiconque, ne laisse aucun doute quant à sa capacité à obtenir ce qu’il veut et entre sans problème au panthéon des plus grands méchants du 7e art.

Miller est clair et radical dans sa vision de l’espèce humaine: le monde d’après sera tout simplement bien pire que celui d’avant. Aucune leçon n’a été tirée de l’anéantissement quasi total de l’humanité. En réalité, c’est comme si l’être humain, depuis la préhistoire, avait toujours fonctionné de la même manière, à chercher querelle avec les individus qui croisaient son chemin. Redevenu nomade par la force des choses, c’est le même schéma qui s’impose comme une destinée auto-destructrice. Une scène terrible symbolise à elle seule cette nouvelle ère de chaos: à travers une longue vue, Max et son acolyte assistent impuissants à l’attaque d’un couple par les furieux d’Humungus. La femme se fait violer sauvagement tandis que l’homme est abattu froidement. Montré de manière frontale et très rapprochée par l’artifice de l’objet grossissant, le spectacle est insoutenable. La violence reste évidemment très présente mais évite toujours le voyeurisme, et on peut même parler de pudeur lorsque des méfaits sont commis hors champ (dans le cas d’une mort animale par exemple), comme si Miller se souciait avant tout d’offrir à son audience un spectacle plutôt que de s’appesantir. Il a délaissé entre cette suite et son modèle une part de cruauté frontale et a gagné en puissance graphique et en grandiloquence, pour se rapprocher d’un esprit BD heavy metal. Cela en devient d’autant plus jouissif qu’il parvient même à placer quelques touches d’humour.

Les survivants ont conservé cette même soif de destruction, le travail d’annihilation n’étant semble-t-il pas fini tant qu’il reste de la vie. Meurtres et viols ont depuis longtemps remplacé le pain et les jeux. Des véhicules bruyants vont et viennent, à la quête d’âmes à pourchasser. Des scènes dantesques dignes de Jérôme Bosch ou Bruegel illustrent de manière théâtrale comment l’humain a pu devenir aussi diabolique et montrent Humungus proférant des incantations menaçantes à glacer le sang, sous la musique puissante de Brian May, plus tribale et dramatique que jamais. Miller n’a rien perdu de sa férocité de cinéaste, cet opus 2 s’annonce encore plus sombre et implacable. Les graines qu’il a semées sont désormais devenues les racines d’un mal établi bien profondément.

Paradis perdu

Dans ce western new age, il n’est plus question de natifs ni de colons, ni plus de cowboys ou d’indiens, ni flics ni voyous, tout au plus deux clans qui s’opposent par les couleurs qu’ils arborent: les blancs d’un côté, les noirs de l’autre. C’est face à ce manichéisme de façade que Max doit montrer patte blanche pour pouvoir accéder à cette cité radieuse, lui qui ressemble à s’y méprendre à un de ces corbeaux de mauvais augure.
En ramenant le corps sans vie d’un de leur compagnon, Max inspire le soupçon et la défiance. Ses vêtements noirs en font un ennemi de prime abord. Si les rapports humains ont définitivement perdu toute signification, l’instinct de survie passe par cette notion toute subjective qu’est la confiance en l’autre. Mais il a rapidement l’occasion de prouver sa bonne foi et propose de leur apporter son aide en échange d’essence. La mission accomplie, les blancs lui proposent de devenir l’un des leurs. Toute personne serait flattée par une telle proposition en ces temps où le danger est omniprésent et où la rester en vie passe par le groupe. Tout homme sauf Max, un héros à leur yeux, mais un solitaire jusqu’au plus profond de lui-même. Il n’a plus de raison de croire en l’utilité du vivre ensemble (voire de vivre tout court), préférant l’indépendance dans cet enfer sur terre.

Même lorsqu’on lui propose de faire la route vers un endroit appelé le Paradis, à 3000 km de là, sorte d’utopie imprimée sur une carte postale où l’océan, le soleil et une femme en tenue légère feraient saliver tout individu, Max n’en a que faire. Est-ce un leurre plus qu’une réalité ? A la question « Que cherches- tu Max? » celui-ci ne répond rien. Pourtant ces gens qui font face à lui, qui voient en lui leur salut et qui espèreraient qu’il conduise le camion de leur liberté, sont comme lui, ils ont tous perdu leur passé, tous ont subi des horribles choses. Max semble résigné et s’il est une chose en laquelle il croit encore, c’est en lui-même. Même l’enfant au boomerang ne saurait l’émouvoir, lui qui pourtant pourrait devenir le fils qu’il a perdu jadis. Max n’a pas la prétention d’être un héros, ni un sauveur, encore moins celle d’être un père… Serait-il un lâche ? Ce peuple ne mérite-il pas d’être sauvé ? Peu de sentiments humains le traversent encore, lui qui savait par le passé resplendir de bonheur en compagnie de sa femme, lui qui pouvait être impitoyable dans son rôle de policier. Au fond de lui, il sait très bien que l’Homme a eu sa chance à maintes reprises mais qu’il a continué à agir de manière égoïste et irresponsable. Alors que l’aube se lève sous un ciel rougeoyant, Max laisse derrière lui la cité radieuse et s’achemine vers la destinée qu’il préfère, l’inconnu…

La Passion de Max

Il est vite stoppé dans sa course en solitaire par la horde d’Humungus. Lorsque son légendaire Interceptor est totalement détruit, propulsé lors d’une sortie de route inévitable, lui qui ne faisait plus qu’un avec sa voiture n’est désormais qu’une vulgaire épave, seul face à la mort qu’il a souvent frôlée et qui n’a jamais été aussi proche. Son compagnon de chien est lâchement abattu. Max, ensanglanté, rampe tel un animal usant ses dernières forces pour mieux attendre la mort. Tel un buisson ardent, la Ford Falcon disparaît dans une épaisse fumée noire vers le ciel. C’est de là-haut que viendra son salut, et c’est un voyage aérien qui ramène l’homme sans foi ni loi à son point de départ, dans cette forteresse qui l’attire vers elle comme un aimant. En lui accordant la résurrection, Miller le transforme en une figure christique, soignée par ce peuple qui voyait depuis le début en lui un sauveur. Désormais sa destinée est liée à à ces bonne âmes et c’est en tant que guide qu’il va reprendre la route vers ce fameux Paradis, au volant d’un énorme camion citerne, non sans peine… Attaqué de toutes parts, c’est à un final de plus de vingt minutes auquel on assiste, où il faut rendre hommage au travail de cascadeurs impressionnant, dans une mise en scène au timing parfait. Même si Miller s’octroie au montage l’accélération de certaines prises de vue, le danger est palpable dans la plupart des scènes. Passages d’un véhicule à un autre, sauts à grande vitesse, combats brutaux, explosions, accidents impressionnants…une chorégraphie mécanique et humaine qui n’aura aucun équivalent jusqu’à… Mad Max Fury Road. Les nombreuses vues aériennes apportent une magnifique vision d’ensemble à l’action et à la topographie.
Et que dire de ce fabuleux et surprenant final, que personne n’a vu venir, pas même Max, qui lui décroche un dernier sourire, comprenant cette farce à laquelle il a participé malgré lui. Elle peut lui redonner un soupçon d’espérance et de foi, tant elle illustre la capacité de l’homme à s’en sortir encore une fois, même dans ces instants aussi tragiques, grâce à cette étincelle qui se ravive éternellement au plus profond de lui. Retrouvant sa solitude, Max peut désormais entrer dans la légende, que les chevaliers blancs vont propager avec eux vers le nord, vers leur salut. Qu’adviendra-t-il de Max, nul ne le sait encore à ce moment précis, à part peut-être Miller et Kennedy.

Les Fils de Mad Max

Mad Max 2, et au passage New-York 1997 dans un genre pas si éloigné, vont engendrer quelques progénitures, inspirant à la fois de véritables auteurs et quelques opportunistes. Le post-apo verra très vite rejoindre dans ses rangs des films plus ou moins bis (voire Z) tels les italiens Les Guerriers du Bronx (Enzo G. Castellari, 1982), 2019, après la chute de New York (Sergio Martino, 1983), 2020 Texas Gladiators (Joe d’Amato, 1983), Le Gladiateur du Futur (Joe d’Amato, 1983). Des métrages plutôt très masculins dans l’âme qui ne laissent que peu de place à la subtilité. Des œuvres comme Le Dernier Combat (Luc Besson, 1983), Terminator (James Cameron, 1984) et Akira (Katsuhiro Ōtomo, 1988), partagent un certain nihilisme avec l’œuvre de Miller, mais leurs univers ont une identité bien plus personnelle et se démarquent du wasteland de Miller. Cyborg (Albert Pyun, 1989), Waterworld (Kevin Reynolds, 1995) ou Doomsday (Neil Marshall, 2008) pourraient être les descendants les plus assumés de Mad Max 2, avec plus ou moins de réussite. Dans les années 2000, un virage plus dramatique et sérieux marque certaines œuvres marquantes comme Les Fils de l’Homme (Alfonso Cuarón, 2006) ou La Route (John Hillcoat, 2009) dans leurs représentations du monde d’après. Plus récemment, les zombies et les virus sont devenus des menaces récurrentes (et ce n’est pas près de changer), remplaçant la guerre ou la bombe sur grands et petits écrans, démultipliant le nombre de films et de séries souvent peu inspirés.
Le futur de Mad Max reste un des plus passionnants, notamment par son jusqu’au-boutisme, sa folie et son univers outrancier qu’on a envie de découvrir au-delà de ces horizons lointains. Par sa modernité aussi, notamment pour la place accordée à la femme depuis le premier film avec des personnages forts et à l’égal des hommes, bien avant la mouvance féministe pas toujours raffinée d’aujourd’hui. Elle se confirmera dans Mad Max 3 d’abord et bien sûr dans Fury Road. Derrière ses airs de saga de bruit et de poussière, Miller semble bel et bien chercher à se rapprocher du genre humain, pour tenter de le comprendre, pour lui accorder la considération qu’il mérite si peu parfois. Et c’est peut-être bien dans la femme que semble résider le salut de l’homme.
“Elle est l’avenir de l’homme”, écrivait Aragon, “Elle est la couleur de son âme. Elle est sa rumeur et son bruit. Et sans elle, il n’est qu’un blasphème.” Ce n’est clairement pas d’une voiture que le poète parlait…