Texte : Alexandre Metzger - 27 août 2021

La Loi de Téhéran

Need for Speed

Afin de mettre en lumière aux yeux de l’occident ce phénomène de plus en plus visible de la dépendance au crack par une grande partie de la population iranienne, le réalisateur Saeed Roustayi envisage tout d’abord la forme du documentaire. Pendant près d’un an, il effectue des recherches et passe beaucoup de temps dans des institutions telles que la brigade des stupéfiants, le tribunal et la prison, pour s’imprégner autant que possible de cet univers opaque. Devenu finalement un long-métrage de fiction (sorti en 2019 déjà en Iran), il en résulte une œuvre à la croisée des genres, puisqu’il parvient à inclure dans ce polar nerveux des thématiques aussi riches que l’enquête, le procès, la réalité sociale et dresse ainsi un portrait plutôt noir de son pays, où l’administration judiciaire ressemble à s’y méprendre à une mascarade organisée, au sein de laquelle policiers et truands ont presque le même visage…

Iranian connection

En Iran, la vente de drogue est passible de mort, quelle que soit la quantité écoulée. Cette sentence, bien connue des trafiquants, les pousse à s’affranchir des limites et à toujours aller plus loin dans les techniques de revente. Ce marché juteux permet à certains de sortir de leur condition sociale déplorable au détriment de beaucoup d’autres, transformés au fil de leur consommation en des déchets humains regroupés dans des terrains vagues, à la vue de tous. Une addiction de masse qui reflète une terrible réalité pour laquelle le pays ne trouve aucune solution. Au travers de personnages aussi intéressants et charismatiques des deux côtés de la loi, le film évite le parti pris et les laisse tous s’exprimer. Chacun semble avoir de bonnes raisons d’avoir choisi son camp, motivé par l’envie légitime d’évolution sociale. La parole devient alors une arme redoutable et peut faire basculer à tout moment n’importe quelle situation, tant l’hypocrisie et la frustration ont gangrené le pays dans toutes ses strates. Les scènes dans le bureau du juge illustrent tout particulièrement l’absurdité de ce quotidien qui s’apparente à du théâtre improvisé, où l’on voit un père accuser son fils pour éviter la prison, un flic dénoncer l’action d’un collègue sans preuve, un dealer menacer ouvertement ses revendeurs. Une véritable mascarade où l’immense pouvoir de cet homme, cadré par les règles de justice en place, peut amener à des décisions totalement ubuesques.

Teheran style

La première scène devrait à elle seule convaincre la plupart des amateurs de polar efficace à plonger dans l’enfer dépeint dans La Loi de Téhéran. Une réalisation sans artifice quelconque, limpide dans son action et sa topographie, généreuse en informations qu’elle dévoile au spectateur qui prend un coup d’avance sur la police. Le film poursuit cette même ligne directrice qui alterne interventions sur le terrain, filatures, interrogatoires, séquences en prison,… dans un rythme incessant. Impossible de s’ennuyer, même pour le spectateur peu coutumier de ce cinéma, qui pourra sans mal se familiariser avec des acteurs charismatiques et taillés sur mesure. Payman Maadi, un habitué de films et séries américaines (6 Underground, Westworld, The Guard) et même français (Police, avec Virginie Efira), impressionne en policier bavard et directif. Face à lui, Navid Mohammadzadeh incarne cette figure diabolique qui semble responsable de tous les maux du pays. Un interprète à la solide carrière théâtrale, déjà récompensé par plusieurs prix d’interprétation au cinéma, qui pourrait sans aucun doute se faire un nom à l’internationale. Tels des pantins au sein d’un théâtre judiciaire tenu par des fonctionnaires rigides, influençables et influents, ils vont s’affronter dans des joutes verbales et physiques qui semblent interminables et dont la force de conviction peut faire basculer l’avenir de chacun en quelques secondes. Une violence qui frise la comédie tant chacun des protagonistes use et abuse de mauvaise foi et de mensonges sans le moindre scrupule. C’est peut-être un point commun que le polar iranien partage avec le polar coréen: il dresse un portrait de son pays et de ses habitants tellement soucieux de la réalité qu’il en devient par moment une véritable farce. La comédie humaine en quelque sorte…