Texte : Kristian C.-B. - 6 février 2023

SOS Fantômes (2016)

La Nuit des Chasseuses

Il y en a beaucoup que le « Girl Power » semble déranger profondément. Le reboot féminin de la saga SOS Fantômes en est un parfait exemple. Depuis l’avènement de l’Internet et des réseaux sociaux, peu de films ont été autant jetés en pâture avant même que quiconque en ait vu les premières images. À peine sa gestation annoncée, le film aurait pu être considéré comme mort-né. Heureusement pour nous, cela n’a pas été suffisant pour décourager la production et le projet a été mené à terme, au grand dam de ceux qui étaient convaincus par avance de sa médiocrité. Ils avaient tort.
Utiliser le champ lexical de la maternité pour décrire le projet de remake 100 % féminin d’un duo de films cultes constitués d’un quatuor tout aussi culte et 100 % masculin pourrait paraître déplacé, voire irrespectueux. Et pourtant, c’est pour mieux rendre hommage à cette équipe qui crève l’écran, envers et contre tous (oui, tous, comme tous ces misogynes qui ont tenté de faire avorter le projet parce que la simple idée que des femmes remplacent des hommes leur paraissait inacceptable), car ce film est un pur moment de bonheur, et même un grand Ghostbusters ! Bien qu’il puisse être un peu déroutant, de prime abord, de voir transposés Egon Spengler, Peter Venkman, Ray Stantz, et Winston Zeddemore en Abby Yates, Erin Gilbert, Jillian Holtzmann et Patty Tolan, la magie opère très vite. On retrouve les caractéristiques typiques de leurs homologues masculins, un peu redistribuées, avec en prime les particularités de chacune. Les protagonistes nous attirent rapidement avec elles dans l’aventure, où on les suit très volontiers, et développent une complicité qui semble si solide sur le tournage qu’elle crève littéralement l’écran dans la fiction, comme les tirs des proton packs qui débordent carrément sur les bandes noires de l’image 16/9e !

La voie de l’évidence

Démarche naturelle ou pied de nez aux misogynes ? Cette prise de position féminine est totalement assumée et maîtrisée, et s’affiche toutefois sans aucune revendication : les femmes aussi peuvent sauver le monde, point. Le réalisateur, Paul Feig, le montre naturellement, sans jamais insister sur le fait que ce sont des femmes et non des hommes qui mènent la danse et prennent tous les risques pour protéger New York. L’action se déroule selon une normalité qui ne prête pas à discussion. Après tout, là où Lara Croft concurrence sérieusement Indiana Jones, y a-t-on vu à l’époque un blasphème ou une quelconque hérésie ? Paul Feig, Ivan Reitman et Dan Aykroyd, qui ont coproduit ce film, ont sagement choisi la voie de l’évidence pour raconter leur histoire. Et les acteurs de la saga originale ont même joué le jeu à fond, en apparaissant brièvement ou interprétant des seconds rôles qui laissent totalement la place aux seules et vraies héroïnes de ce reboot.
En effet, quelle humilité et quelle autodérision pour Bill Murray et ses acolytes des années 80 ! Monsieur Murray campe ici le professeur Martin Heiss, scientifique médiatique à l’esprit très cartésien. Une ironie sacrément bien vue, quand on se rappelle combien il s’efforce de convaincre de leur existence dans le tout premier film. Cette fois, il remet en cause toutes les théories paranormales des chasseuses de fantômes, contribuant à les décrédibiliser aux yeux du public. Et les filles de ne pas se laisser traiter de la sorte : elles n’hésitent pas à le malmener, pour notre plus grand plaisir… coupable, il faut bien l’avouer.
Fortes de ces événements à double lecture, les quatre nouvelles Ghostbusters prennent toute leur place dans la saga et montrent que la chasse aux fantômes n’a pas de genre, sans cependant le revendiquer sur les toits de l’Amérique. Et malgré cela, nombreux sont ceux qui sont restés ancrés sur leur jugement même après avoir vu le film.

Girlbusters

On ne pourra donc que regretter les préjugés de la communauté internet qui n’aura pas donné sa chance à un excellent divertissement, fidèle à l’esprit et à l’humour des films originaux, extrêmement énergique et qui nous offrait enfin la nouvelle aventure qu’on avait attendue pendant plus de 25 ans !
La version de 2016 est aussi rock’n’roll que le film de 1984, et peut-être un peu plus grâce, entre autres, au personnage de Kate McKinnon, acolyte déjantée et amatrice d’armes en tous genres. L’humour est omniprésent, sans jamais tourner à la parodie – n’en déplaise aux machistes qui auront probablement mal vécu la voie professionnelle empruntée par Chris Hemsworth en tant que secrétaire blond et sexy, un peu potiche et aux attitudes potaches, mais qui séduit pourtant autant les spectateurs que ses employeuses par l’autodérision dont l’acteur fait preuve et la sympathie qu’il dégage. Oui, on vous l’accorde, son personnage pourrait être la seule exception du film à l’absence de message féministe.
Quant à la trame, elle est très similaire au tout premier film, sans pour autant donner une réelle impression de déjà-vu, contrairement à la suite qui sortira en 2021. Un premier phénomène surnaturel, des scientifiques qui se font virer de leur université et décident de tenter leur chance dans ce auquel ils croient depuis si longtemps, des manifestations gluantes d’ectoplasme, la semi-destruction d’un établissement public, la médiatisation, l’intervention des autorités, jusqu’à un début d’apocalypse et un fantôme géant qui broie tout sur son passage.
On a ici un film miroir, parfaitement réussi, rythmé avec maestria, et ne reflétant que le meilleur de son modèle, sans trahir l’esprit de la franchise.

Loyauté et déclaration d’amour

Vous l’aurez compris, ce film est une véritable déclaration d’amour, déclinée sur de multiples plans – ce qui est la moindre des choses pour une fiction où différentes entités venues d’autres dimensions envahissent notre monde !
D’hommages vibrants en clins d’œil réguliers aux films et à l’équipe d’origine, les scénaristes tissent une nouvelle histoire en incluant les personnages, les monstres et les lieux que plusieurs générations de fans vénèrent.
Dès la première scène post-générique d’introduction, un hommage est rendu à Harold Ramis, son buste trônant fièrement dans un lieu de science et de transmission, montrant sans détour qu’il était une personne en or. Le ton est donné. Puis c’est au tour de Bill Murray de faire son apparition, un vrai second rôle qu’il interprète avec autant de brio que lorsqu’il était lui-même chasseur. Dan Aykroyd s’accorde aussi sa petite scène, avec une seule réplique, que tous les spectateurs connaissent par cœur : « I ain’t afraid of no ghost », avant de partir sans daigner apporter son aide dans la guerre qui vient de commencer contre les spectres !
Le gourmand Bouffe-tout et le géant Marshmallow n’ont pas été oubliés et jouent leur rôle de revenant, dans tous les sens du terme. Ce dernier sera d’ailleurs rapidement remplacé par un autre clin d’œil plus terrifiant : le fantôme du logo, au format XXL ! – de la taille d’un gratte-ciel.
Les hommages sont ainsi égrainés régulièrement, tout au long du film, et jusqu’au bout du générique final. Suite à leur succès, les quatre filles du Docteur Marshmallow réinvestissent le QG d’origine, qui leur est offert par les services secrets du gouvernement. Et c’est Ernie Hudson qui a l’honneur de les rejoindre sur ce lieu mythique dont elles se disputent immédiatement la répartition ! La secrétaire Jeanine répond également présent et campe une réceptionniste d’hôtel. Seul Rick Moranis, le maladroit maître des clés, manque à l’appel, tandis que Sigourney Weaver s’affiche en scientifique émérite avant que le tout dernier hommage du film ne résonne en trois petits mots nous donnant plein d’espoir : « What’s Zuul ? ». On en veut encore !!
Et pour ceux qui ne seraient pas encore convaincus par la déclaration d’amour de l’équipe du film à ses prédécesseurs, laissons-les méditer sur la scène finale, sans ambiguïté et presque romantique, où tout Manhattan, par les lumières de ses gratte-ciel, dit mille fois « je t’aime » à ses quatre sauveuses.

Peur de la nouveauté ?

Cela ne vous aura pas échappé, la saga a trouvé une suite plus « officielle » parue fin 2021, après une campagne marketing à la discrétion surprenante. Du moins en France. SOS Fantômes – L’héritage (« Afterlife » en VO) a misé sur une autre recette pour satisfaire ses fans, qui ont été bien moins tranchants après avoir vu le film que ceux de 2016 avant sa sortie… C’est à se demander ce qu’attendent les amateurs de cinéma de nos jours ? Un besoin d’être rassuré, de retrouver des repères perdus depuis des décennies et auxquels ils sont si attachés que toute modification peut entraîner des traumatismes irréversibles ? Prenez la recette d’origine, saupoudrez-la d’une touche de modernité, plongez-la dans la nostalgie, et laissez macérer pendant quelques années. Mâchez et remâchez-la, puis servez-la bien chaude sur un plateau simple et sans surprise, et vous devriez satisfaire l’appétit de la plupart de vos convives. Un peu comme l’épisode IX d’une autre saga bien connue…

Alors quid de la suite ?

Les fans ont-ils tué eux-mêmes la saga ? La sortie de SOS Fantômes – L’héritage en 2021 nous prouve, en elle-même, que non, mais le succès n’est plus au rendez-vous, ce qui va certainement rendre les producteurs encore plus frileux.
Que l’on soit adepte ou non des remakes et reboots, exercices que certains considèrent souvent comme une solution facile pour combler un manque d’idées ou de prise de risque, on ne ressent rien de tout cela avec Ghostbusters 2016. En respectant amoureusement l’âme de l’œuvre, les créateurs ont réussi à réinventer l’histoire tout en gardant une trame similaire au film originel. Ils ont su à la fois rester fidèle et créer quelque chose de nouveau, avec une énergie et un rythme qui ne s’essoufflent jamais, une décharge de protons positifs qui nous tient collés à notre siège jusqu’aux dernières secondes. Le générique, généreux en images complémentaires et hyper dansant, nous retient sans effort, car on n’a pas envie de quitter ces personnages, ni que la fête s’arrête.

Quoi qu’il en soit, on retrouve dans ce film tous les ingrédients qui ont fait de SOS Fantômes la saga culte qu’elle est aujourd’hui ! L’action, le fantastique, l’humour, la bonne humeur, l’autodérision, et le plaisir de partager une aventure – entre les équipes du film et avec le public. Le temps nous dira si cet épisode sera réévalué par les fans et s’il deviendra, à l’instar de son grand frère et comme bien d’autres suites avant lui, d’abord ignorées ou dénigrées, un film vénéré par les générations à venir.