Texte : Alexandre Metzger - 12 septembre 2021

Last Night in Soho

Détour vers le passé

Dévoilé en avant-première à la Mostra de Venise, puis en ouverture du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg (FEFFS), Last Night in Soho confirme la volonté d’Edgar Wright de s’éloigner de l’univers de la comédie qui l’a fait connaître avec son complice Simon Pegg, pour aller vers des œuvres plus sérieuses, sans toutefois renier le film de genre qui a toujours fait partie de son ADN. Après Baby Driver (et même un passage par le documentaire sur les frères Sparks), il nous propose cette fois un voyage dans le temps et dans l’horreur à l’atmosphère très glamour, dont l’ambition première pourrait être celle de retrouver des sensations passées. Une époque révolue du point de vue de la musique, de la nuit, dans un swinging London fantasmé et fantomatique, qui fascine encore une partie de la jeune génération. Incarné par deux jeunes actrices aux personnalités très opposées mais terriblement douées chacune dans leur style de jeu, il en résulte un film hors du temps, visuellement somptueux, qui use de faux-semblants de manière très maline pour nous égarer et nous séduire…

Old school

Originaire de la campagne profonde anglaise, Eloise quitte pour un temps sa grand-mère et débarque avec toute la naïveté, l’émerveillement et les rêves de réussite que l’on peut attendre d’une jeune femme de 18 ans qui découvre le quartier très branché de Soho. Face à elle, les citadines de sa promotion de l’école de mode et de design ne tardent pas à la juger sur son look et sa manière de s’exprimer qui laissent transparaître ses origines sociales modestes. Même son état d’orpheline est sujet à critique… Peu à l’aise avec ses camarades et encore moins avec la cohabitation, elle décide d’emménager dans une chambre dans le vieux Londres, chez une dame âgée aimable mais stricte avec ses locataires. Rapidement, Eloise commence à avoir des visions en s’endormant et va se retrouver soixante ans plus tôt, à suivre le parcours d’une jeune starlette du music-hall qui cherche à faire carrière dans la chanson.
Il est plaisant de constater que la plongée d’Eloise, sorte d’Alice des temps modernes, dans le Londres des années 1960 ne passe pas par un prétexte scénaristique surfait, mais advient tout simplement. Même si Edgar Wright est clairement un enfant des années 1980, il nous évite une énième machine, un objet magique ou une pilule colorée qui n’apporteraient rien dans cette histoire. La carte du fantastique est totalement assumée et s’installe très naturellement… C’est l’occasion pour Eloise, et pour Edgar Wright sans doute aussi, de savourer corps et âme l’époque de ses grands-parents et de découvrir la jeunesse et la vie nocturne d’alors.

Etoiles montantes et éternelles

Côté casting, Last Night in Soho a vraiment de beaux atouts générationnels. Pour la partie contemporaine, la néo-zélandaise Thomasin McKenzie, qui crevait l’écran dans Jojo Rabbit, apporte toute la candeur et la fraîcheur nécessaire au personnage d’Eloise. Face à elle, Anya Taylor-Joy, qu’on ne présente plus, et qui depuis The VVitch, puis Split, Les Nouveaux Mutants ou bientôt Furiosa, a su incarner une belle palette de personnages et prouver son attrait pour le fantastique. La nature de Sandy, bien plus sexuée et extravertie que la jeune Eloise, crée un contraste immédiat entre les deux actrices. Autour d’elles gravitent de véritables légendes du cinéma : Diana Rigg et Margaret Nolan, malheureusement décédées en 2020 avant la sortie du film, stars de la télévision et du cinéma, sont assurément pour Edgar Wright une occasion sincère de rendre hommage à l’âge d’or de la période dans laquelle il situe l’histoire de son film. Terence Stamp, toujours très élégant à 80 ans passés, apporte lui aussi une part de mystère et de grandeur lors de ses apparitions suspectes.

Horreur au féminin

Débutant comme un rêve pour son héroïne, le parcours d’Eloise va peu à peu virer au cauchemar éveillé, et perdant peu à peu le sens des réalités, elle va flirter avec la folie la plus meurtrière. Eloise et Sandy, reliées comme par magie, vont réveiller des fantômes du passé de plus en plus tangibles et inquiétants. A l’écran, ces manifestations spectrales, entre silhouettes sans visage et zombies baveux, sont créées là aussi dans une volonté de simplicité qui sied bien à l’esprit du film. Les effets visuels résultent d’une astuce qui se veut avant tout photographique plutôt qu’une 3D monstrueuse. Une méthode “à l’ancienne” qui n’empêche pas Edgar Wright, bien au contraire, à s’autoriser des moments sanglants pour parvenir au dénouement final dans une énergie débordante. Jusqu’au bout, le doute est permis sur le rôle de chacun, les liens qui unissent le passé et le présent, les morts et les vivants. Rythmé par une bande originale qui mêle les standards d’hier (Petula Clark, The Kinks…) et la pop rock récente, baigné dans des tons colorés très giallesques, Last Night in Soho parvient comme à l’accoutumée à afficher le style et la singularité de son réalisateur, sans jamais tomber dans la tarantinerie qui pourrait plaider en sa défaveur, comme un oppurtiniste qu’il n’est pas. Baby Driver était un film musical jouissif et classieux plutôt masculin, ce nouvel essai est son pendant féminin, une perle nocturne pleine de grâce qui devrait vous hanter et vous bercer pendant votre sommeil…