Texte : Alexandre Metzger - 18 mai 2022

Inexorable

L’inconnue dans la maison

Depuis son premier long-métrage Calvaire, âpre et malaisant à souhait, Fabrice Du Welz semble construire une œuvre de manière instinctive, se laissant guider par des envies multiples de cinéma. Il se frotte ainsi à plusieurs genres, le thriller, le polar musclé avec un joli crochet américain pour Message from the King, et même le documentaire. Mais dans sa filmographie se détachent certains titres qui semblent bien plus personnels, plus intimes. Dans ces œuvres, ce sont les rapports humains qui semblent l’intéresser plus que tout, qu’il s’agisse de passion adolescente (Adoration) ou de passion destructrice (Alleluia). Des histoires où, étrangement, un personnage nommé Gloria est toujours présent. C’est aussi le cas dans Inexorable, où il est question d’amour, de haine, de mensonge, de vengeance, et qui est l’occasion pour Du Welz d’offrir un premier rôle à son compatriote belge Benoît Poelvoorde, qu’il admire depuis longtemps, malgré une expérience houleuse sur le tournage d’Adoration. Celui-ci se retrouve aux prises avec une jeune femme, fan de ses romans, qui va peu à peu faire naître au sein du couple qu’il forme avec Mélanie Doutey des tensions et faire resurgir un passé longtemps enfoui. Un exercice de style pur et dur, tourné en pellicule super 16, qui ne laissera personne indemne…

Jeux de rôles

En héritant d’une magnifique bâtisse à la mort de son père, Jeanne Drahi (Mélanie Doutey) se retrouve également à la tête d’un empire dans le domaine de l’édition. Son mari Marcel Bellmer (Benoît Poelvoorde) est un auteur dont le premier roman Inexorable a été un énorme succès. Ils investissent avec leur fille Lucie la demeure située au cœur d’un très beau parc, dans une province bien reculée, et s’improvisent châtelains. Une servante de longue date est restée dans les murs pour effectuer les tâches quotidiennes, et un chien ne tarde pas à compléter le décor de ce tableau idyllique. Tous trois semblent se plaire dans leurs nouveaux rôles, et pour Marcel, c’est un cadre parfait pour se plonger dans l’écriture d’un nouveau roman. Pourtant, l’inspiration n’est pas si aisée, et le calme de la campagne, bousculé en journée par le bruit de travaux entamés dans la maison, n’est peut-être pas si propice. De la panne d’inspiration à la panne sexuelle, il n’y a qu’un pas que l’auteur franchit tristement, cherchant la stimulation dans toutes sortes d’excès (alcool, comportement agressif…), mais en vain.
Tous trois font la rencontre d’une jeune femme, Gloria (Alba Gaia Bellugi), qui s’est installée depuis quelques jours dans un hôtel au village et qui retrouve leur chien égaré à l’entrée de la propriété. Plutôt réservée et intimidée, la jeune femme se montre aimable avec leur fille à qui elle apprend quelques techniques de dressage canin. Au fil des jours, Gloria gagne la confiance du couple, qui l’embauche pour s’occuper de Lucie et remplacer la domestique historique. Derrière cette façade fragile, elle cache pourtant bien son jeu et va au fil des jours dévoiler un autre visage…

Paternité

Au départ, Gloria est pourtant bien impliquée. Logée et rémunérée, elle devient la complice de jeu de Lucie qui trouve en elle une grande sœur. Elle cuisine et s’occupe de la maison consciencieusement. Jeanne est ravie de pouvoir lui offrir une situation temporairement confortable tout en gardant une certaine distance. Marcel, lui, ressent d’abord pour elle une envie de protection, et en l’accueillant dans leurs murs, lui donne l’opportunité de quitter la chambre d’hôtel glauque et d’envisager un avenir moins sombre. Gloria connaît et apprécie les romans de Marcel Bellmer, tout particulièrement Inexorable. Rapidement, leur relation se transforme en attraction réciproque, et malgré leur grande différence d’âge, Marcel ne résiste pas aux charmes de la jeune femme, qui adopte des comportements étranges et se montre de plus en plus violente avec lui. La séduction se transforme en rapports de domination, en une emprise totale, la jeune femme semblant mieux le connaître qu’il ne pouvait l’imaginer. Voguant entre folie et volonté de vengeance, Gloria est clairement imprévisible et capable d’aller très loin dans la manipulation de chaque membre de la famille, qui n’aura d’autre issue que d’éclater totalement. Tous ces personnages ont en commun la quête d’une utopie. Qu’il s’agisse de reconnaissance (personnelle ou professionnelle), de paternité (d’une enfant ou d’une œuvre), de légitimité… les êtres humains dépeints par Fabrice Du Welz ont souvent une part non négligeable d’ombre au fond d’eux-mêmes, et il suffit de peu pour la révéler au grand jour. Le film s’en charge admirablement et le quatuor de corps s’en retrouve éprouvé dans un final baroque qui va lorgner du côté du giallo, alors qu’il démarrait comme un Chabrol tout en tension teintée de bourgeoisie. Une œuvre portée par la grâce et l’incarnation de ses comédiens, voués corps et âme à ce réalisateur qui n’a pas fini de nous livrer sa vision de l’humanité à travers un microcosme situé quelque part en Belgique…