Texte : Alexandre Metzger - Illustration : Alexandre Metzger - 20 janvier 2023

Godland

Missionnaire impossible

Godland, sorti quelques jours avant Noël en pleine Avatarmania, n’a rien d’un conte festif ni d’une aventure emplie de péripéties aux airs de montagnes russes, bien au contraire. Pourtant, l’exotisme que procure le film dans ce voyage à travers l’Islande du XIXè siècle est par certains aspects bien plus dépaysant et surtout plus éprouvant pour le spectateur.

Confrontés de plein fouet aux quatre éléments bien connus (l’eau, le feu, l’air, la terre) et leurs nombreuses et terribles déclinaisons (la neige, la glace, le froid, le désert, la lave, le vent…), les personnages évoluent dans un décor où les arbres ne poussent pas et où l’on ne croise pas d’humains et à peine quelques animaux. Lucas, jeune prêtre envoyé par sa hiérarchie pour mener à bien la construction d’un édifice religieux, accepte la voie la plus périlleuse et la plus sauvage, plutôt que d’être transporté au plus près de sa destination par bateau, afin de s’imprégner de ce nouvel environnement. Habitué à la vie paisible et tout en retenue du couvent, il va devoir s’improviser cavalier, explorateur, et côtoyer des individus expressifs et rustiques pour y parvenir.
Comme s’il devait s’inscrire dans une tradition séculaire où seule la souffrance donne un sens à l’existence, il va effectuer jusqu’au bout de ses forces ce chemin de croix, au propre comme au figuré, perdant au passage ce symbole de bois rassurant et une partie de sa foi. Le climat et le relief de cette nature insulaire ne laissent pas d’autre choix que de forcer le respect. Même le divin semble s’être incliné devant tant de grandeur et de puissance rocheuse. Enfoui dans sa solitude intérieure, il va être incapable d’exprimer sa profonde détresse, par orgueil ou par habitude et va subir une transformation irréversible de son être dont il ne saura maîtriser les conséquences.
Cette nature impitoyable sera pourtant sa moindre ennemie, largement dépassée par les instincts primitifs et la fierté de ces colons installés là comme pour défier ce territoire reculé et hostile.
Inspiré par des photographies et des histoires authentiques, le scénariste et réalisateur Hlynur Palmason filme son récit dans un format 1:33 aux coins arrondis, lui conférant une patine et une étroitesse qui nous placent au cœur de ce groupe de personnages très en relief, rendant presque palpables les conditions de tournage qu’on peut aisément imaginer avoir été éprouvantes. Le gigantisme des décors n’en pâtit nullement, au contraire, grâce à un usage de la caméra en travelling autant horizontal que vertical. Godland, du haut de ses bientôt 100 000 entrées en France, peut fièrement revendiquer son statut de vrai film d’aventures, en plus d’être un drame humain passionnant.