Texte : Alexandre Metzger - 12 septembre 2022

X

Porno Gore

Avec un titre pareil, difficile de faire plus racoleur. En revanche, ne serait-ce que pour trouver des informations sur la sortie de ce film, imaginer le voir plus tard sur une quelconque plateforme ou même l’acheter, ce n’est pas en tapant “X” qu’on le trouvera facilement. Racoleur peut-être mais pas si simple à porter. Son pitch l’est tout autant: une petite équipe de cinéma vient tourner en pleine campagne texane un film porno dans une ferme louée pour l’occasion à un couple de personnes âgées, sans les prévenir bien sûr de leurs intentions perverses… Le joyeux tournage va se transformer en un carnage où le sexe et la religion seront au cœur de toutes les tensions. Un heureux mélange qui, sous ses airs d’hommage aux bandes filmées des années 1970 et 1980, se révèle bien plus ambitieux qu’il n’y paraît, cherchant, et trouvant, un équilibre subtil entre les effets de peur et les effets comiques. Esthétiquement, le film dévoile des atouts évidents à travers son image granuleuse qui rappelle les bonnes heures de Massacre à la Tronçonneuse, même si moins âpre et suinteuse que le film de Tobe Hooper. Des cadrages inspirés montrent rapidement une maîtrise évidente de la part de Ti West, un habitué du genre horrifique et fantastique à travers la réalisation de plusieurs films et séries TV (The House of the Devil, The Innkeepers…). Également scénariste, monteur, et producteur de X, qui a été tourné en Nouvelle-Zélande, c’est la société indépendante A24 qui produit le film, ajoutant à son palmarès, après Hérédité, Midsommar, In Fabric ou The VVitch, un titre supplémentaire dans le genre horrifique.
Dès l’ouverture, les intentions sont annoncées: des policiers arrivent sur les lieux d’un massacre où plusieurs corps sont étendus, aux abords et à l’intérieur d’une maison. A la télévision, restée allumée, un pasteur prêche la bonne parole, fustigeant les excès de cette période de débauche où le sexe et la drogue pervertissent la jeunesse, et où seul Dieu sera juge des actes des uns et des autres.
A présent, laissez-vous emporter dans ce jeu de massacre, dont l’action se place en 1979, où sexe et mort ne semblent faire qu’un…

Femmes libérées

Juillet 1979, dans un van, une bande de six jeunes femmes et hommes se met en route pour le tournage d’un film dans une ferme que Wayne, le scénariste et réalisateur, a louée pour quelques jours. L’autoradio à cassette joue un rock n’roll langoureux. Tout le monde a l’air de se réjouir de ce qui s’annonce comme un grand moment. Le scénario de « Les Filles du Fermier » passe de main en main. Outre Wayne, l’équipe se compose de deux actrices plutôt sexy, une blonde et une brune (Bobby-Lynne et Maxine), d’un caméraman, OJ, de sa copine perchman Lorraine, et d’un acteur, Jackson.
Maxine est la petite amie de Wayne et tout comme Bobby-Lynne, elle rêve de célébrité. Wayne vise la gloire à Hollywood et voit en la vidéo domestique l’avenir de l’industrie… porno. Oui car il s’agit en réalité de tourner un film avec des gens tout nus qui font l’amour. « Les Filles du Fermier » n’est effectivement pas une adaptation d’un roman de Pagnol ou de Steinbeck. En plus d’être l’occasion pour eux de démarrer une carrière dans le cinéma, tous (ou presque) considèrent ce genre comme une continuation de la liberté sexuelle issue du mouvement peace and love depuis la fin de la décennie précédente. Pour les deux actrices, c’est une manière de s’affirmer en tant que femmes épanouies, refusant le schéma féminin hérité de la vieille génération. Un discours plutôt osé de nos jours où le combat féministe tend à prendre des directions parfois discordantes: l’égalité homme femme, la fin du patriarcat, l’émancipation par le travail, le harcèlement de rue et en entreprise, les violences conjugales… des procès d’intention qui mènent autant à des condamnations hautement légitimes qui ont conduit au mouvement #MeeToo qu’à des accusations calomnieuses comme l’a montré la récente affaire Johnny Depp. Dans ce contexte brûlant, la pornographie d’aujourd’hui comme d’hier se retrouve divisée en deux camps selon les réactions qu’elle suscite. Certains y voient une exploitation de la femme à outrance pour une masculinité exacerbée, la comparant à de la prostitution pure et simple. D’autres au contraire la considèrent comme un tabou qu’il serait temps de briser, une manière pour des hommes et des femmes, professionnels ou amateurs, de vivre de leur corps, dans une industrie somme toute légitime. Ti West assume son propos et ses personnages, masculins comme féminins, vont effectivement s’éclater sur un même pied d’égalité…

Sexe, mort et rock n’roll

En arrivant sur place, l’accueil est plutôt rude. Carabine au poing, le vieux propriétaire Howard montre une méfiance immédiate, et fait bien comprendre au groupe qu’il ne les apprécie pas trop. Wayne n’avait pas mentionné qu’ils seraient plusieurs à venir loger dans la dépendance, et il se garde bien de préciser qu’ils viennent ici pour tourner un porno. La ferme est composée de plusieurs bâtisses et jouxtée par un lac. Les quelques plans qui nous donnent un aperçu des lieux peuvent rappeler de manière inconsciente d’autres films dans la mémoire du cinéphile : Le Crocodile de la mort de Tobe Hooper et son Texas Chainsaw Massacre déjà cité, Vendredi 13, Jeepers Creepers. Le spectateur est en terrain connu, et ces quelques madeleines posées ça et là sous la forme d’un véhicule, d’un ponton ou d’une grange, servent autant à gagner sa confiance qu’à le brouiller, celui-ci pouvant attendre du film qu’il emprunte plusieurs directions possible.
Malgré tout, le tournage démarre sous de bons auspices, et l’émulation de groupe est bel et bien là, chacun considérant le projet comme bien plus ambitieux que la production habituelle. Mais leurs ébats ne restent pas longtemps discrets et c’est d’abord Pearl, la femme du vieil Howard, qui se rend compte de la supercherie. Mais plutôt que d’être choquée outre mesure par le spectacle auquel elle assiste, il semble qu’une certaine libido se réveille en elle! Les jeunes corps qui se déploient sous ses yeux dans ce projet filmique font renaître une sensualité longtemps éteinte et un appétit sexuel qu’elle aimerait partager avec son mari. Le personnage de Pearl, d’abord effacé, se dévoile lentement. Son apparence de vieille dame est quelque peu troublante, faisant penser à une actrice sous un maquillage prothétique. C’est effectivement Mia Goth (vue dans Suspiria), l’interprète de Maxine qui joue les deux rôles. Dès lors, sa conscience va être tiraillée entre sa foi profonde alimentée par les déclamations du prêcheur télévisuel qui la conditionne et la guide depuis des années, et la frustration accumulée au fil du temps par le manque de tendresse et par l’incapacité de son mari cardiaque de la satisfaire sexuellement.
Face à cette jeunesse fougueuse et débridée, un fossé générationnel et physique renvoie Peach dans de lointains souvenirs d’une époque révolue, qui vont faire renaître des envies de plaisirs de la chair dans tous les sens du terme. Contre toute attente, c’est elle qui fera couler le premier sang. Dans une ambiance rougeoyante très “giallesque”, la vieille dame, se voyant refuser un peu d’affection de la part d’un des jeunes acteurs, va commetre un meurtre implacable…

Film dans le film et mélange des genres

L’histoire, centrée sur le tournage d’un film dans son film, offre l’occasion au réalisateur Ti West d’établir un parallèle entre les deux univers dépeints. Ainsi, à travers un montage ingénieux, et même un split screen en deux moitiés égales du plus bel effet pendant quelques minutes qui fait immédiatement penser au récent Vortex de Gaspard Noé, il tisse des liens entre les attitudes et les actes des personnages qui font sens et procurent un sous-texte émotionnel évident. Des moments de poésie trouvent aussi une place entre deux ébats lorsque Jackson pose ses doigts sur une guitare et que Bobby-Lynne se met à chanter Landslide de Fleetwood Mac (moi qui pensais jusque-là qu’il s’agissait d’un morceau des Smashing Pumpkins… honte sur moi !). Mais l’atmosphère érotique et joyeuse des premiers instants se laisse peu à peu gagner par une noirceur et bientôt une horreur. En dévoilant son meurtrier de manière très naturelle, sans rechercher le suspense, Ti West nous épargne ainsi les effets Scooby-doo et les questionnements inutiles de certaines histoires qui parfois sont plus qu’agaçants. La forme du slasher est assumée, et sans chercher à la révolutionner, le réalisateur évite la surenchère de poncifs de ce genre parfois surexploité. Pas de jumpscares inutiles, pas de corps qui disparaît, pas de boogeyman au don d’ubiquité… En plaçant des scènes où le sourire s’invite parfois sans prévenir, le film ne cherche pas à atteindre la morbidité de ses aînés (Halloween, Le Bal de l’horreur, The House of Sorority Row,…) mais parvient pourtant à maintenir une tension et à conserver un équilibre délicat. Ici le ridicule peut tuer, et la comédie de certaines situations donne toute sa saveur à X.

Vieillesse ennemie

Ti West ne cherche pas à susciter la peur à tout prix, mais plutôt à raconter son histoire et à déployer son univers, comme un auteur. A l’instar de Abuela ou de Vortex, ou d’autres films récents traitant du même sujet (Father, Falling), c’est d’abord la vieillesse qui fait peur. Lorsqu’on est jeune, on appréhende de vieillir, et arrivé au grand âge, on redoute de mourir. Les aînés, dont on dit souvent qu’ils redeviennent des enfants, régressent peut-être pour repousser cette fatalité.
Ce couple de vieux rednecks ne cherche qu’à s’amuser au final, lui ayant vécu deux guerres déjà, elle n’ayant plus beaucoup de plaisirs à vivre. Howard et Pearl sont deux enfants qui ont baigné dans l’éducation chrétienne, et rendent justice à leur manière à ce Dieu qu’ils respectent et servent depuis toujours. Dans son final, le film assoit un peu plus sa cohérence, sous les incantations divines télévisuelles du même prédicateur entendu depuis le début du film. C’est à une situation tragi-comique que nous assistons, dans des outrances autant sanglantes que ridicules. Une apothéose jouissive pour les cinéphiles réceptifs à ce plaisir de cinéma et une déclaration d’amour et respectueuse au genre horrifique de ces années marquantes pour le septième art. «Je n’accepterai pas une vie que je ne mérite pas», un cri de liberté entendu à plusieurs reprises dans la bouche de Maxine et qui, dans celle du télévangéliste, prend un tout autre sens. A l’image de notre monde où la parole, plus libérée que jamais, a laissé ouvertement place à la haine et au mensonge, au point que la vérité a parfois du mal à se faire entendre.
Ti West va prolonger l’univers de X dans un préquel nommé Pearl, du nom de la sympathique vieille dame qui nous est désormais familière. Un saut dans le temps qui ne devrait pas manquer de mordant, et où le personnage pourrait révéler une facette insoupçonnée, mais forcément cinglée… ou pas.

The House of the Devil