Texte : Alexandre Metzger - 30 août 2021

Cruella

Disney punk

Trouver une chronique d’un film live des studios Disney sur Split Scream peut sembler incongru. Une chronique très positive de surcroit! Produits souvent calibrés pour un public familial aussi large que possible, il est plutôt rare d’être conquis par un scénario à l’originalité folle, par des acteurs investis dans leurs personnages, et par un metteur en scène à la personnalité affirmée. Alors que Cruella joue la carte du prequel au casting de stars, mis en scène par un réalisateur à la filmographie intéressante mais pas très cohérente (Moi, Tonya et Fright Night pour les plus connus) le film cumule toutes ces qualités, boosté par une énergie punk rock anglaise. La mode et la musique apportent grâce et impertinence à cette histoire portée par les deux Emma, Stone & Thompson, reines dans un défilé de personnages hauts en couleur. Cruella, ou comment les méchants de l’histoire deviennent des êtres bien plus passionnants qu’ils nous avaient été dépeints dans un certain Les 101 Dalmatiens

Origines

Cruella, depuis 1956, est aux yeux de tous cette femme filiforme au visage émacié, exhubérante et élégante, aux cheveux moitié noirs moitié blancs, un porte cigarette à la main. Incarnée par Glenn Close dans de premières adaptations live, elle prend cette fois-ci les traits d’Emma Stone dans cette histoire qui retrace la jeunesse et la genèse de ce personnage de vilain, Estella de son vrai prénom. Dès l’école, la petite fille est plutôt agitée et dévoile un côté rebelle plutôt affirmé. Une nature trouble la menaçant d’être expulsée de l’établissement, au grand dam de sa mère qui l’appelle Cruella lorsqu’elle laisse surgir son côté sombre. Celle-ci décide de déménager avec sa fille à Londres et en chemin, fait une halte dans un splendide manoir afin de demander de l’aide à la maîtresse des lieux. Une grande fête a lieu le soir même. Estella s’extrait de la voiture où elle était censée attendre patiemment, impressionnée par les sublimes tenues qui défilent devant ses yeux. Malheureusement, elle et son chien sèment le désordre et provoquent involontairement la mort de sa mère, poussée accidentellement dans le vide par un trio de dalmatiens! Un traumatisme qui, loin d’être anodin, sera déterminant dans la construction de cette enfant à bien des égards.

Dames de fer

Désormais orpheline, Estella parvient à rejoindre la capitale et tombe rapidement sur deux jeunes garçons vivant en marge de la société, experts en vols de portefeuilles et autres larcins, qui la prennent sous leur aile. A leur contact, elle devient elle aussi professionnelle de l’escroquerie même si au fond d’elle subsiste toujours une part de son rêve d’être un jour créatrice de mode. Parvenue à l’âge adulte, ses compères lui offrent l’occasion d’exaucer son vœu le plus cher en la faisant embaucher dans la plus prestigieuse boutique de Londres comme… femme de ménage. Autant dire à des années-lumières de pouvoir briller de son art. A moins d’un petit coup du destin… alcoolisé et inspiré. C’est ainsi qu’elle se fait remarquer par la plus célèbre et influente styliste la baronne Von Helman (Emma Thompson). Dès lors, sa créativité pourra s’exprimer à la hauteur de son talent, la diva de la mode semblant plutôt conquise par la fraîcheur de sa jeune recrue mais surtout par son propre flair, cela va de soi. L’ego surdimensionné de la baronne ne laissant que peu de place à Estella, celle-ci va avoir besoin de l’aide d’une lointaine amie précieuse pour s’affirmer… Cruella.

Fulgurance visuelle et sonore

La bête étant libérée, c’est à une explosion d’idées et à une fulgurance de styles que l’on assiste. Cruella fait entrer la mode dans le futur, reléguant la baronne au rang de couturière d’un autre temps. Une guerre ouverte est déclarée, sur fond de rébellion punk. Les choix musicaux (de The Clash à Supertramp, en passant par Queen ou Blondie), les décors et costumes somptueux, habillent le film de très beaux atours. Pour que la magie opère, Craig Gillespie ne se contente pas seulement de faire le job, il insuffle plus que l’énergie nécessaire afin de dépasser son statut d’énième production de Mickey. Les deux Emma, magnifiées par une direction artistique audacieuse, s’en donnent à cœur joie dans leurs excès de folie colorée, de snobisme à l’anglaise et de cruauté communicative. Un duo de personnalités en osmose totale, tout en nuances dans leur jeu respectif qui, semble-t-il, a fini de conquérir les critiques les plus sceptiques. Un succès public mérité vient couronner ce petit bijou de comédie où les méchants sont à l’honneur. Les graines du mal sont désormais semées et laisseront forcément éclore une suite qui, on peut l’espérer, devrait se transformer en un bouquet explosif en noir et en blanc et sans doute, quelques aboiements supplémentaires…

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