Texte : Alexandre Metzger - 24 septembre 2021

Censor

Video Horror System

Premier film de la réalisatrice britannique Prano Bailey-Bond, Censor aborde une période assez sombre de l’âge d’or de la VHS. Alors que l’Angleterre est dirigée de main de fer par Margaret Thatcher, la censure fait rage pour protéger la population de ces terribles œuvres dépravées qui remplissent par centaines les vidéoclubs: les films d’horreur. Censor ne cite à aucun moment des titres ayant réellement existé dans cette époque dite bénie des années 80 et préfère illustrer son propos en nous montrant de fausses vraies scènes tournées pour l’occasion qui ne manqueront pas de titiller l’œil des fans. C’est pourtant bien de la réalité que le film s’inspire (des dizaines de films ont été amputés voire blacklistés: de La Baie sanglante à Basket Case, en passant par Possession ou Les Chiens de Paille…). En faisant le choix de ne pas jouer la carte de la référence nostalgique et de créer son propre univers, la réalisatrice livre une œuvre visuellement très élégante, avec une photographie qui ose autant jouer avec les contrastes et les couleurs saturées chères au giallo qu’avec les tons ternes des intérieurs anglais. Son personnage principal, Enid, représentante exemplaire de l’autorité, va se retrouver entraînée dans l’envers du décor. Laissez-vous emporter, la plongée dans l’horreur n’en sera que plus belle…

Horreur et censure

Bien connus pour pervertir la jeunesse, les films d’horreur sont un concentré de sadisme, de meurtres et de viols qu’il faut absolument contrôler. Cela fait longtemps que bon nombre de ces œuvres ont été pointées du doigt comme étant des déclencheurs de crimes atroces et de violence du quotidien. En vérité, des coupables tout désignés pour justifier le comportement d’individus déviants au sein d’une société depuis longtemps malade.
Certains d’entre eux se retrouvent de fait amputés de nombreuses séquences jugées trop explicites, voire totalement interdits de rayonnage. Malheur au tenancier qui ne respectait pas les directives du comité, il risquait la fermeture pure et simple de son établissement. Cette censure qui, au cinéma, classifiait ou interdisait déjà radicalement la diffusion de films érotiques, pornographiques et bien entendu horrifiques, pouvait repousser la sortie de certains films de plusieurs années (Massacre à la tronçonneuse, Mad Max…) en Angleterre, mais aussi en France ou en Allemagne!
Ce contrôle insidieux de la création, qui a perduré des années durant, peut sembler aujourd’hui complètement exagéré. Certes, la liberté d’expression et la libéralisation des mœurs ont permis d’atteindre des niveaux hallucinants de violence, de gore et de sexe dès les années 60. Mais de là à rendre ces films responsables de tous les maux de la société… En fin de compte, cette “publicité” a joué favorablement envers la plupart des œuvres incriminées et les a souvent amenées à devenir de véritables succès!

Censorielle

Enid, jeune femme plutôt austère, est une employée exemplaire du comité chargé d’autoriser ou non l’exploitation et la diffusion de films d’horreur en vidéo. Elle visionne avec assiduité jusqu’à la moindre image de chaque cassette pour exercer son pouvoir de vie ou de mort sur tel ou tel plan, voire sur le film tout entier. A l’instar de ses collègues, son verdict est toujours discuté en réunion, mais elle est la plupart du temps implacable dans ses décisions.
Durant sa jeunesse, Enid a été victime d’un drame terrible : alors qu’elle jouait en forêt avec sa petite sœur, celle-ci a mystérieusement disparu. Des années plus tard, le traumatisme est encore bien présent, et la relation avec ses parents est plutôt conflictuelle, ceux-ci souhaitant faire le deuil de leur fille, alors qu’Enid s’en sent incapable.
Un jour, elle est chargée d’analyser un film dont l’histoire ressemble à s’y méprendre à ce qu’elle a vécu avec sa sœur. Débute alors un espoir pour Enid de la retrouver…
En se lançant ainsi à corps perdu dans une enquête, le personnage prend soudain une ampleur inattendue. Horrifiée par les films qu’elle ausculte à longueur de journée dans le cadre professionnel, Enid est devenue sans le vouloir une véritable spécialiste du genre. En passant de l’autre côté du miroir, en allant à la rencontre de ces créateurs fous, elle va trouver l’occasion d’affronter ses souvenirs, de devenir actrice des cauchemars qui la hantent. Censor devient alors passionnant, envoûtant, brisant toutes les chaînes qui asphyxiaient son héroïne. La violence et l’horreur qui sommeillaient en elle peuvent alors enfin s’exprimer.
En conservant suffisamment de zones d’ombre dans son film, Prano Bailey-Bond nous laisse imaginer le pire comme le moins terrifiant. Le sourire retrouvé d’Enid contraste tellement avec son austérité habituelle que l’on sort de la salle avec un sentiment d’apaisement, avec l’envie de croire à d’heureuses retrouvailles avec elle-même…