Texte : Alexandre Metzger - 4 juin 2025

28 Jours plus tard

London screaming

Un déferlement d’images télévisées violentes nous est servi en guise d’introduction de 28 Jours plus tard. Guerre civile, affrontement de population avec la police, exécution… L’être humain dans toute sa splendeur, capable du pire envers lui-même et envers ses semblables. Une introduction très madmaxienne, modèle du genre post-apocalyptique. Face à une multitude d’écrans, un chimpanzé, menotté, est abreuvé par ce flot d’images malgré lui. Un peu comme si le singe de 2001: l’Odyssée de l’espace se retrouvait soudain propulsé dans Orange Mécanique ! Dans ce laboratoire, plusieurs spécimens simiesques sont enfermés dans des cages, attendant leur tour pour les besoins de la science et du fameux progrès. Plusieurs activistes s’introduisent là pour délivrer les malheureux animaux. Un laborantin les surprend et tente de les mettre en garde mais il n’en ont cure. En libérant les singes, ils libèrent la rage…

Le Survivant

28 Jours après cette journée, un homme se réveille sur la table d’opération d’un hôpital. Il traverse les couloirs, descend les étages. L’établissement semble délaissé, vidé de ses patients et de son personnel soignant. Tout est sens dessus dessous. Au-dehors, les rues sont déertes. Des déchets jonchent le sol. Des véhicules sont à l’arrêt ou renversés. Londres est déserte, sans âme qui vive. Dans un kiosque, un journal, datant sûrement de plusieurs jours, titre sur sa une “EVACUATION”. Des milliers de photos, de lettres et d’avis de recherche sont placardés sur des murs. La fin du monde semble avoir sonné.

Zombie or not to be

28 Jours plus tard démarre de façon plutôt magistrale (le film parvient à livrer des images de Londres vidée de ses habitants, à une époque où les effets spéciaux ne permettent pas de le simuler), sur un postulat somme toute classique de film d’horreur: la propagation d’un virus sur une population, pour une raison connue ou non, transforme totalement les gens qui sont infectés. Ceux-ci en contaminent d’autres, et ainsi de suite. Bob Clark, George A. Romero, Lucio Fulci, ou même Peter Jackson, ont en commun de nous avoir servi, chacun avec sa vision singulière, des histoires où les morts reviennent à la vie, pour le plus grand malheur des vivants. Tour à tour politiques, gores, drôles ou expérimentales, ces œuvres ont posé des jalons et procuré à la figure du zombie différents styles, en respectant certains codes (la démarche lente, la soif de sang ou de cervelle…).

Nouveau millénaire

Danny Boyle, qui s’est déjà fait remarquer par plusieurs succès dans divers genres (avec à son palmarès un film culte, Trainspotting), va, avec l’audace anglaise et sous la plume d’Alex Garland (auteur du roman et scénariste de La Plage), livrer sa propre vision du zombie. Le virus de la rage va plonger les infectés dans une furie sanguinaire, dont le seul moteur sera la soif de sang et de propagation. Ces monstres vont développer des capacités bien supérieures à leurs prédécesseurs: ils passent de l’état humain à celui d’enragé en quelques secondes à peine (sans même mourir en réalité), ils courent vite et sont mus par une violence terrible. A l’aube du nouveau millénaire, la génération MTV, dopée aux clips et aux bpm, semble se réincarner là après avoir contracté le virus de la vache folle, celui-là même qui avait sévi quelques années plus tôt en Angleterre.

Human after all… this shit

Le film est présenté hors-compétition au festival de Gérardmer début 2003. Les fantasticophiles amateurs de zombie à l’ancienne réagiront de manière assez contrastée. Si certains crient au scandale, les autres y voient un potentiel renouveau. Danny Boyle sait filmer. Pour son premier essai dans le fantastique, il enchaîne des plans très inspirés et iconiques, cadrant des décors de désolation avec talent. Même le ciel paraît malade par moment. Si le choix de tourner en caméra DV décontenance au départ, il devient rapidement un atout pour conférer au film un style réaliste, proche du documentaire, et renforce le sujet qui tient le plus à cœur au réalisateur et au scénariste britanniques, l’être humain (Garland réalisera des années plus tard le bien nommé Men). Des scènes intimistes sont nombreuses, comme ce moment où Jim (Cillian Murphy) retourne dans la maison de ses parents et les retrouve morts, suicidés avant d’être confrontés à l’horreur. Ou encore la rencontre avec Selena et Mark, puis avec Frank et sa fille Hannah. 28 Jours plus tard déborde d’humanité, tout en étant baigné de paranoïa, de peur et de défiance de l’autre. Chaque nouvelle personne croisée est un danger potentiel. Un sentiment que l’on a pu ressentir à notre tour dans notre chair au début des années 2020 quand un virus mondial s’offrait à nous tous.

Poésie macabre

La poésie que le duo Garland/Boyle insuffle régulièrement dans certaines scènes y participe beaucoup. Souvent accompagnées d’une bande-son bien choisie (les courses au supermarché, le voyage en taxi, Manchester en feu), elles transcendent les moments de terreur qui font craindre le pire à ces héros ordinaires. Une poésie, on s’en rend compte, qui manquait parfois dans les films zombiesques que l’on connaissait, qui privilégiaient le gore au sentimentalisme, mais qui nous convenaient parfaitement. 28 Jours plus tard se place là comme un nouveau modèle, quintessence d’un genre qu’on pensait relégué aux années 1970/1980. Garland et Boyle condensent leurs inspirations issues du cinéma et de la littérature pour livrer un film somme sur leur vision commune de la race humaine. Avec le cynisme et l’humour anglais qui les caractérisent, la religion, l’armée, le consumérisme en prennent pour leur grade. En réalité c’est l’Homme dans toute sa splendeur, ce singe pourtant savant, cet animal civilisé, qui est pointé du doigt. L’humain jouant avec la nature, se considérant comme essentiel, même au bord du précipice. L’humain au naturel, devenant pire que ces infectés malgré eux, guidé par ses pulsions primaires en prétextant de vouloir sauver son espèce et lui garantir un avenir. Une scène marquante montre un infecté se retrouvant soudain face à un miroir. Quel reflet y voit-il ? Ses yeux injectés de sang semblent vouloir nous laisser chercher la réponse en nous-mêmes…

Le futur du zombie

Après des années où il était relégué aux sériez Z, 28 Jours plus tard offre une nouvelle vie au zombie. Une fois passé le “scandale” dénoncé par les puristes, le film de Danny Boyle va faire école, ou plutôt, contaminer pas mal d’œuvres à venir. On y trouve les germes de films, séries et jeux vidéos comme World War Z, The Walking Dead, The Last of Us ou plus récemment The Sadness. Le zombie va rapidement redevenir à la mode. Trop. Cette créature autrefois réservée aux amateurs d’horreur va se démocratiser presque aussi vite que le téléphone portable. Des créations de qualité variable, auxquelles il manque pour certaines cette touche anglaise, ce piment qu’on ne retrouve pas dans des visions américaines trop standardisées. 28 Jours plus tard fait partie de ces projets précurseurs et visionnaires, portés par des personnages contemporains forts, qui font encore sens des années plus tard. Le look des infectés est aussi sobre qu’efficace avec leurs yeux gorgés de sang contaminé et leur rythme effréné et bestial.

“Tout n’est pas foutu”

Après l’apothéose cauchemardesque, Jim livre cette phrase simple mais pleine de sens: “Tout n’est pas foutu”. La réalité du film permet d’en douter. La vitesse à laquelle la contamination a agi nécessite de fuir au plus vite. Fuir où? Loin des villes. La fin du film, heureuse pour les uns, terrible pour beaucoup d’autres, laisse entrevoir une potentielle suite. On souhaiterait en priorité savoir ce qu’il adviendra de ces survivants auxquels on s’est attaché après 1h45 de métrage. La séquelle 28 semaines plus tard, livrée 4 ans après, ne nous apprendra rien du sort de Jim, Selena et Hannah. En 2025, un troisième opus, bien nommé 28 ans plus tard, annonce la présence de Cillian Murphy au casting. Révélation magnétique du film, il déploie dans 28 Jours plus tard une palette de jeu impressionnante. A l’origine, Ewan McGregor ou Ryan Gosling furent pressentis pour ce rôle. D’abord tout en intériorité, son personnage va peu à peu s’émanciper jusqu’à exploser dans un survival final sanguinaire, amplifié par une musique ô combien mémorable. L’avenir confirmera tout le talent de l’acteur, faisant évoluer discrètement mais sûrement, alternant le cinéma indépendant et commercial de manière souvent judicieuse.

Nouveau monde

Avec le recul, le message lancé par Boyle et Garland en 2003 laisse un triste constat. Les images qui nous parviennent chaque jour ressemblent toujours à l’introduction de 28 Jours plus tard. Est-ce que ça signifie qu’en 20 ans, le monde n’a vraiment pas changé? Entre les dirigeants belliqueux et/ou décérébrés à la tête des plus grandes puissances et les zombies apathiques que nous sommes devenus, rivés sur des écrans tels des animaux dociles, le monde a bel et bien franchi un seuil dans la folie, l’aveuglement et la surenchère. Entre temps, tout s’est encore accéléré. La religion, le sport, l’armée, l’éducation, la santé, les entreprises publiques comme privées, la culture… ont fait tour à tour la une en montrant une image à chaque fois terrible des agissements de certains. Les rageux ont envahi les réseaux, les rues et les néo partis politiques. Tout n’est effectivement pas foutu. Mais presque, aurions-nous envie de dire. Heureusement, 28 ans plus tard arrive à point nommé pour nous faire une piqûre de rappel… et ce par le duo gagnant Boyle/Garland dont on espère qu’ils n’ont rien perdu de leur rage.